Une importante conférence de la Commission européenne s’est récemment tenue à Bruxelles, dédiée à un thème particulièrement cher à Slow Food : la santé des abeilles.
Quelles sont les causes de la disparition mondiale des abeilles ?
Sur les raisons du déclin récent et incoercible des colonies d’abeilles, deux types de recherches assez éloignés se sont opposés. Une partie de la communauté scientifique et institutionnelle, avec le soutien total et les encouragements de l’industrie agro-chimique, a soigneusement nié tout lien entre le déclin des abeilles et la disparition analogue de biodiversité des invertébrés et en particulier des pollinisateurs, montrant du doigt parmi les différentes causes des pathologies liées au parasite varroa, au champignon nosema, aux virus, etc… La recherche indépendante, les apiculteurs et le monde écologiste ont en revanche constaté et dénoncé l’impact des nouveaux pesticides, ainsi que la perte de biodiversité florale, qui coïncide avec la diffusion toujours plus large des monocultures agro-industrielles. La confrontation ouverte sans grandes marges de manœuvre a stimulé d’un côté de nouvelles constations scientifiques et engendré de l’autre des décisions publiques conséquentes, comme l’interdiction européenne, temporaire et partielle, des quatre molécules insecticides les plus utilisées au monde. Mais… l’aiguille de la balance indique avec une netteté grandissante de quel côté penchent les indicateurs, quand il ne s’agit pas d’un ensemble de preuves irréfutables. La conférence européenne a également permis d’apporter d’autres grandes réponses.
Epilobee, l’enquête vétérinaire européenne a été présentée. Elle a surveillé pendant deux ans 32 000 ruches de 17 pays membres. Les conclusions de l’étude vétérinaire européenne excluent toute cause pathologique dans la mort des abeilles. La mortalité des colonies hivernales présente des variations allant de 3,5% à 33,6%, avec des variations importantes enregistrées entre les pays et un taux de mortalité plus élevé dans les pays du Nord. La recherche confirme que là où l’emploi de pesticides est plus intense, la mortalité des colonies d’abeilles présente des pourcentages beaucoup plus élevés : les niveaux de mortalité aux USA, où l’utilisation des pesticides est largement autorisée, si ce n’est encouragée, présentent par exemple des niveaux nettement supérieurs à ceux des pays d’Europe, où les normes appliquées sont plus contraignantes.
Au même moment, Greenpeace a publié sa propre étude évaluant dans différents pays européens la contamination diffuse par les pesticides de l’aliment principal des abeilles et des pollinisateurs : le pollen. L’étude de l’association stimule une réflexion sur l’impact réel des pesticides, qui sont à l’origine d’une contamination diffuse et ubiquitaire des pollens, mais aussi de l’eau, de la terre et de l’air. Elle invite à se demander quel est le niveau de précision des « armes intelligentes » tant vantées, qui ne tuent pas seulement les nuisibles, les parasites et les mauvaises herbes, mais aussi les êtres vivants indispensables par leur capacité de production agricole. Elle nous conduit à évaluer l’étendue des dégâts provoqués par les pesticides dans l’agriculture et à déterminer comment les limiter.
Que perdons-nous si les abeilles disparaissent ? Quelles peuvent être les conséquences de l’agrochimie ? Souvent, lorsque l’on dresse un bilan des dégâts causés par les pesticides, c’est le danger pour la santé humaine qui est mis au premier plan. Ou du moins, notre attention tend à se focaliser sur cette question. Ainsi, en relisant avec quelques années de recul Printemps silencieux de Rachel Carson ou si l’on aborde pour la première fois Notre poison quotidien de Marie-Monique Robin, les chapitres dédiés aux risques des pesticides pour notre santé retiennent plus notre attention que les autres. Mais cette approche nous empêche d’avoir une vision holistique des retombées négatives de tout le processus actuel de production alimentaire. Les aliments qui rendent malade sont les mêmes qui polluent le sol, l’eau, l’air et qui mettent en péril tout le cycle du vivant et le concept même de fertilité.
Quelle est la solution ? C’est justement le bourdonnement d’alarme des ruches qui a concrétisé la proposition et la possibilité d’un autre cheminement. La réforme radicale des procédures d’autorisation des produits chimiques agricoles peut permettre de mieux déterminer, de manière préventive, les dégâts possibles engendrés par les molécules et préparations chimiques. Tel est le nouveau scénario pour continuer à développer des initiatives ponctuelles, contraignantes et constructives.
Le chemin est tracé, les perspectives existent. L’EFSA a déjà élaboré de nouveaux critères d’amélioration pour définir l' »acceptabilité du risque » pour les abeilles et d’autres sujets. Ce qui nous manque aujourd’hui, c’est l’investissement des ressources qui permettent de définir, valider et utiliser les nouveaux types de tests prévisionnels sur les effets possibles. Le développement d’une pression visant à obtenir l’élaboration de nouvelles procédures prudentielles plus efficaces sur les conséquences effectives de l’introduction de molécules dans la nature est l’un des grands défis de demain. Utiliser cette mesure de compatibilité effective des pratiques agricoles avec la survie et la productivité des ruches peut aussi devenir le simple thermomètre d’une durabilité véritable. Une vraie durabilité, pas seulement sur le papier.