Flore Bonnard, qui dirige l’entreprise Rezto à fait relayer un appel qui a retentit pour récupérer des denrées alimentaires non utilisées auprès des grossistes, de producteurs, petits ou grands, préparer des repas pour les hôpitaux.
Le restaurant, c’est le poumon qui fait respirer les villes. Le restaurant, c’est le cœur qui bat dans les campagnes. C’est au restaurant que l’on se nourrit, que l’on partage, que l’on échange, que l’on se rencontre. C’est au restaurant que l’on fait société, que l’on fait civilisation. C’est au restaurant que l’on restaure, au sens premier du terme.
Quand les villes et les campagnes sont malades, le restaurant tousse.
Avant la crise du Coronavirus, Rezto était une petite start-up qui démarrait. J’ai toujours travaillé dans la restauration, avant de me pencher sur le digital, avec un fort attachement à la dimension locale et à la qualité du service et des produits, et le travail fait avec passion. C’est en travaillant dans ce secteur très compétitif que m’était venue l’idée de Rezto. En voyant les plateformes comme TripAdvisor, je me suis dit qu’il était possible de faire mieux, de mieux informer le consommateur intéresse par son alimentation, et d’inclure les producteurs en les mettant en valeur à travers une application de référencement.
Au début du 2020, Rezto comptait une centaine de restaurants référencés, c’est-à-dire qui paient un abonnement pour apparaitre sur la plateforme. Mais la crise de Covid-19 est venue chambouler tous nos plans. Comme on peut imaginer, plus aucuns restaurant ne demandait de s’abonner à notre plateforme et la question de suspendre les abonnements se pose, étant donné la fermeture des restaurants.
Quand le confinement a été décrété en France, une décision vitale pour endiguer la propagation du virus, en citoyens responsables, restauratrices et restaurateurs, personnel de salle, cuisinières et cuisiniers, ont compris la nécessaire fermeture de leurs établissements. Mais, un restaurant fermé n’est pas un restaurant mort. Les chef·fe·s ne disparaissent pas derrière leurs portes closes.
C’est grâce à une initiative de Guillaume Gomez, « » Le chefs avec les soignants » que j’ai contacté sur Facebook, que j’ai réalisé que nous pouvions être utiles à la société. Il demandait de venir en aide aux personnels de soins. On les applaudit chaque soir à la fenêtre et bien là était arrivée l’occasion d’aller un peu plus loin pour aider les personnels soignants.
Si les conditions d’une sécurité sanitaire absolue sont réunies, en effet, les chef-e-s peuvent continuer à empoigner casseroles et poêles, à allumer le feu, découper, ciseler, mixer, rôtir, braiser, faire ce qu’ils font le mieux : cuisiner. Même si on ne les autorise plus à préparer des repas pour leurs clients habituels, beaucoup sont disponibles pour, d’une manière ou d’une autre, faire à manger, pour tous et en particulier pour le personnel soignant. Mitonner autre chose que l’ordinaire insipide de l’hôpital, ce serait une belle façon de dire notre gratitude aux combattant·e·s engagé·e·s en première ligne sur le front de la pandémie, admirables de professionnalisme, de sacrifice et de dévouement.
Dans un premier temps, j’ai relayé simplement le message de Guillaume Gomes sur mon propre compte Facebook. Mais tout de suite j’ai reçu beaucoup de commentaires positifs de la part de nombreux restaurateurs qui voulaient manifester leur soutien au projet. C’est pour ça que j’ai pris contact avec Sophie Blanqui, responsable de la restauration à l’hôpital de Bayonne, qui m’a expliqué comment les choses allaient et surtout que la cantine de l’hôpital ne sert pas de repas le soir aux soixante à cent personnes mobilisées pour la nuit. Il fallait agir.
Ce n’était pas facile, surtout sur le plan logistique, mais finalement dans les cuisines du Centre de formation d’apprentis du Pays Basque nous avons préparé cent repas complets tous les jours pendant un mois, soit 3000 repas, avec 17 cuisiniers qui se sont relayés chaque jour et une cinquantaine de producteurs, et grossistes alimentaires qui ont contribué avec leurs dons à rendre cela possible.
L’initiative « les chefs avec les soignants » sur tout le territoire, à mobilisé beaucoup de monde : On est arrivé à compter 776 chefs mobilisés, 146 hôpitaux publics et 119 hôpitaux privées aidés, et surtout 104767 repas servis)
Notre « croissance » était exponentielle. Le premier jour, nous ne travaillons qu’avec deux cuisiniers, Nicholas Bouchard du Patxamama Bayonne et Damien Robert du Osagarria Bayonne. Jour après jour, de plus en plus de personnes nous rejoignent. Nous étions six dès le troisième jour. Au total, ce sont dix-sept cuisiniers qui se sont mobilisés.
Mon rôle était celui du chef d’orchestre. Je faisais des plannings avec des roulements pour avoir, chaque jour, cinq ou six cuisiniers. Avec les chefs, nous composions chaque jour un menu diffèrent. Dès le début de l’opération, un traiteur, Bixente Eizmendi, a mis à notre disposition ses camions frigorifiques tout en rejoignant nos rangs avec son frère Xabi, également cuisinier. Ils ont été d’un soutien sans faille et des acteurs incontournables de la réussite de l’opération.
Comme sur Rezto, nous privilégions les producteurs locaux de qualité. Même si nous ne demandions que le nécessaire, des produits à date courte ou encore des invendus suite à la fermeture des marchés, j’étais touchée et émue devant la générosité de nombreux petits producteurs locaux, qui donnaient des produits de très grande qualité, des stocks qu’ils auraient pu vendre en cette période particulière.
Au fil des jours, via les messages relayés sur les réseaux sociaux, d’autres cuisiniers nous ont rejoints et c’est une brigade de 17 personnes qui a finalement fait tourner la machine !
Pour un restaurateur, 100 repas ce sont 100 entrées, 100 plats et 100 desserts. Chaque jour, les équipes répondront présentes pour ne jamais faire défaut et ce sont en tout 3000 repas que nous allons produire, sans un centime, avec la générosité de chacun, à son échelle.
Chaque jour fut différent, avec ses problèmes à résoudre, ses solutions à trouver, mais chaque jour à été comme un battement de cœur, intense et vital.
Si je dois retenir quelques moments, je peux vous parler de notre émotion à tous (même si les cuisiniers s’épanchent rarement…) lorsqu’au retour d’une livraison quotidienne, nous avons récupéré une enveloppe avec plein de petits mots de « nos » soignants, qui nous témoignaient leur gratitude. Car en effet, quelle drôle d’expérience…. Si un cuisinier ne voit pas toujours ses clients, il a les retours de la salle, les assiettes qui reviennent en plonge sur lesquelles ont garde toujours un œil, et parfois même les mercis de convives que l’on peut aller voir à tout moment. Mais ici, pas de salle, pas de retour, notre quotidien consistait à aller déposer des plateaux entiers de repas dans une chambre froide, pour des inconnus que nous ne verrons pas. Alors ce jour où nous avons reçu ces feuilles, griffonnés entre deux patients avec des mots tous plus gentils les uns que les autres, ce fût une vive émotion !
Cette expérience m’a changé, m’a fait ouvrir les yeux sur nos rapports aux autres, notre capacité à aller de l’avant et à faire notre métier (presque) dans n’importe quelle circonstance.
Le sens premier du métier de restaurateur, c’est de restaurer les autres, mais comme nous le savons tous, donner c’est recevoir. Ce que j’ai retenu dans cette aventure, c’est que ces personnes, qui travaillent dans la restauration, la vraie, celle qui « restaure » au sens propre, en faisant du bien par la bonne nourriture qui est préparée, sont des personnes hors normes. Et l’on oublie souvent à quel point ce métier d’abnégation ou l’on a une vie sociale en total décalage, des rythmes de vie très difficiles, ou l’on travaille quand les autres s’amusent, sans réveillon, sans feu d’artifice, sans vacances d’été, dans la chaleur, le bruit, et les épreuves pour le corps qui s’abîme un peu plus chaque jour, est pratiqué par des personnes passionnées. Des femmes et des hommes qui « signent » malgré ça parce que ce métier c’est tout d’abord une passion, un renouveau quotidien, mais c’est surtout une vraie famille, c’est un état d’esprit, une force, une vitalité qui nous fait nous dépasser au quotidien et nous amène plus loin.
Un an après que de chemin parcouru, et de cette initiative est née une nouvelle aventure : Court-Circuit. Après avoir constaté qu’il est possible de produire des repas de qualité, avec un sourcing auprès des producteurs locaux, et de le rendre abordable et pratique pour les personnes qui travaillent et ont peu de temps pour déjeuner, j’ai décidé de lancer Court-Circuit. Le concept : Produire des repas à emporter de qualité, travaillés, avec un approvisionnement direct auprès des producteurs locaux, et les proposer dans des casiers réfrigérés intelligents, en distribution autonome.
Nous avons sourcé les producteurs et expérimenté les recettes de Court-Circuit avec des points de retraits pendant le second confinement et des livraisons. Devant le succès du concept, e premier distributeur sera implanté à Anglet (64600) en Octobre 2021.