Laurent Thomas
L’amour du travail bien fait
France | Bretagne | Le Tour du Parc
Le Hameau le Tour du Parc se trouve dans le Morbihan, en Bretagne, entre Lorient et Guérande. C’est une commune limitrophe de la rivière de Pénerf, sur la route de l’huître. En fait de rivière, Pénerf est une ria (aussi appelé aber en breton), c’est à dire une baie formée par la vallée peu profonde d’un fleuve, envahie par la mer, en partie ou en totalité.
C’est là, devant son élevage d’huîtres que Laurent nous attend, debout sous la pluie qui ne le gène pas le moins du monde, dit-il, très à l’aise dans ce froid climat breton. Il a la poignée ferme et le regard malicieux.
Fils du pays et fils d’ostréiculteurs, il a toujours adoré ce métier : « le jour même de mes 16 ans, lorsque la loi ne m’obligeait plus à aller à l’école, j’ai posé mon cartable et j’ai commencé à travailler ». Il s’est fait les dents dans différents bassins, pour mieux comprendre, pour avoir une vision d’ensemble et pour pouvoir s’adapter à différentes situations, avant de revenir s’installer dans la commune de Sarzeau, où il s’est mis à son compte en commençant son propre chantier.
Laurent effectue le captage de ses huîtres dans le bassin marin d’Oléron, où celui d’Arcachon, où les températures sont légèrement supérieures et favorisent la naissance naturelle des huîtres. Il s’agit d’introduire un support métallique, ou même plastique, dans l’eau et de l’y laisser 15 jours au bon moment, fin août ou septembre, afin qu’elles se fixent sur ce support. « Même une bicyclette rouillée ferait l’affaire », explique Laurent, mais certaines formes sont mieux adaptées pour que davantage d’huîtres puissent se fixer plus facilement, et pour qu’on puisse ensuite les déplacer.
Une fois dans le chantier de production, les huîtres sont défaites, soit détachées du support de captage, et placées en poches en plastique, qui sont maintenues sur des lits en fer à 60 cm du fond pendant trois ans (le nombre de poches utilisées augmente au fur et à mesure que les huîtres grandissent).
« Si l’on veut, on peut y travailler nuit et jour, il y a toujours quelque chose à faire, même en dehors de la période de mise en place ou de récolte des huîtres : s’occuper du parc, maintenir à niveau, nettoyer, fixer les poches détachées, par exemple. Moi, j’aime tout de ce métier, sans quoi je ne pourrais pas le faire et il y a des choses irremplaçables comme les paysages qui se déroulent sous mes yeux, les odeurs, voir le lever et le coucher du soleil… »
Très vite, il a compris qu’il voulait travailler de la façon la plus naturelle possible, en évitant les écloseries en laboratoire et les huîtres dites triploïdes, pourtant promues à grands renforts par l’Ifremer et favorisées par de nombreux producteurs. Ce sont des huîtres dont le bagage chromosomique est altéré en laboratoire, afin de les rendre stériles, ce qui les fait grandir plus vite (2 ans au lieu de 3) car elles économisent l’énergie qu’elles dédient normalement à la reproduction, et permet de les récolter tout au long de l’année. Cependant, cette pratique annule aussi, au moins en partie, l’effet « meroir » (équivalent marin de terroir) que chaque écosystème apporte aux huîtres, et ne serait pas sans lien avec un virus qui depuis des années décime les élevages.
« Depuis qu’ils ont fermé les écloseries, le taux de mortalité des huîtres dû au virus est retombé entre 40 et 50% (en 2012). Cela peut sembler énorme, surtout par rapport au 15% de perte que nous avions jusqu’à il y a 7 ans, mais ce n’est rien comparé à 90% de mortalité il y a quelques années. Heureusement, les prix ont augmenté pour compenser un peu les pertes », explique Laurent.
Tout naturellement, une association des huîtres naturelles s’est crée, parce que des individus décidés à travailler autrement se sont trouvés, par le bouche à oreille et aussi grâce à Internet, ce qui a permis de créer une alliance qui aujourd’hui réunit 54 ostréiculteurs (soit une production de 30.000 tonnes).
Les producteurs de l’association, dont 3 font partie aussi de la sentinelle Slow Food des huîtres naturelles bretonnes, utilisent à 100% les larves naturelles, ils favorisent les dynamiques de groupe, trient et recyclent le matériel utilisé, respectent les limites de densité des élevages – les huîtres se nourrissent de plancton, dont la quantité et qualité, affectée entre autres par les pesticides et l’épuration, est déterminante pour définir la quantité d’huîtres qu’un écosystème peut soutenir -, l’harmonie et l’intégration au paysage des élevages, entre autres objectifs écologiques et solidaires.
Selon Laurent, au bout du compte, ce qui les unit, « c’est une question d’éducation, car il s’agit de respecter les autres et respecter la nature, dont les équilibres sont délicats ».
D’autres objectifs ont été lancés pour gérer ensemble la chaîne de valeur et les contraintes de l’administration, qui obligent par exemple producteurs qui vendent sur les marchés à réaliser des études spécifiques sur leurs bassins une fois par mois, chose dont sont dispensés ceux qui vendent en gros. L’association travaille à renforcer la vente directe et l’exportation, afin de rester autonomes et de maintenir le contrôle de l’approvisionnement en larves, et ne pas se retrouver dans l’obligation de les acheter aux laboratoires, ou de vendre à la grande distribution, dont les prix sont écrasants.
« Je ne me vois pas faire autre chose, ni autrement », affirme Laurent, « voir les huîtres pousser, c’est le paradis… ».