Pour une pêche équitable et responsable

Canada | British Columbia | Ucluelet

« Je représente une troisième génération de pêcheurs. Je vis dans la petite communauté d’Ucluelet, sur la côte ouest de l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique, au Canada. Quelques grands navires de pêche continuent à débarquer leurs poissons à Ucluelet, mais les petits marins-pêcheurs ont pour la plupart disparu, et la ville est désormais une destination touristique : une station balnéaire.

La nation Nuu Chah Nulth est installée dans cette région depuis plusieurs milliers d’années et ses représentants ont accueilli le Capitaine Cook lorsque ce dernier a mouillé dans la baie de Nootka dans les années 1700. Les petites communautés de pêche, tant autochtones qu’allogènes, ont écrit le passé de l’île de Vancouver.

J’ai commencé à travailler sur le bateau de mon père à l’âge de sept ans. Nous pêchions le saumon à la traîne. La pêche à la traîne est une technique utilisée pour pêcher le saumon dans l’océan Pacifique où l’on utilise de longues perches et des leurres pour capturer le saumon royal du Pacifique (ou saumon quinnat), le saumon coho, ainsi que d’autres espèces de saumon. Les bateaux de pêche à la traîne sont de petits bateaux, de 9 à 19 m de long environ. Ils sont utilisés par plusieurs petites communautés de pêche de la province depuis la fin des années 20. En plus de la traîne, nous utilisions des palangres pour les poissons de fond : roussette, flétan, morue charbonnière, scorpène, morue-lingue.

La flotte de bateaux de pêche à la traîne s’est drastiquement réduite en Colombie-Britannique depuis le milieu des années 90, en raison de la politique gouvernementale appliquée. Cette rationalisation s’explique à la fois par des motifs politiques et des raisons biologiques : priorité donnée à la pêche en rivière des premières Nations ; attribution prioritaire du saumon quinnat et du saumon coho aux pêcheries de loisir, ce qui s’est traduit par la dérivation des moyens de revenus vers ce secteur sans contrepartie pour les pêcheurs à la traîne ; gestion des conflits internationaux avec les États-Unis sur la pêche d’interception via un traité qui sanctionne le principal mode de pêche d’interception, à savoir la pêche à la traîne du saumon.

Sur le plan biologique, la prédation des phoques, les changements climatiques, le faible taux de survie en océan, et la destruction d’un habitat important en rivière, associés à l’adoption d’un plan de gestion basé sur les stocks peu abondants* et non plus sur les stocks mixtes sont autant de facteurs qui ont limité les quantités de poissons disponibles pour la pêche commerciale.

Mon fils et moi sommes propriétaires d’un palangrier construit en 1927 et destiné, à l’origine, à la pêche au flétan dans le nord de la Colombie-Britannique. Nous l’utilisons pour la pêche de fond. Grâce à notre mode de pêche, nous avons contribué, au cours des 14 dernières années, à intégrer la gestion multi-espèces dans la pêche des poissons de fond en Colombie-Britannique. Au début, nous pêchions la roussette et n’étions pas autorisés à conserver les autres espèces. Maintenant, grâce à un plan de gestion intégrée, à l’utilisation de la caméra, et à la validation à terre, nous sommes en mesure de conserver la plupart des espèces que nous attrapons.

Ce processus présente toutefois un gros inconvénient. Pendant les 25 dernières années, le gouvernement canadien a attribué la majeure partie de la prise aux pêcheurs via un programme de quotas individuels transférables (QIT). En Colombie-Britannique, à la différence de la façade Atlantique, les plans de gestion des pêcheries ne comportent pas de clauses de protection relatives aux patrons-pêcheurs, et permettent à quiconque d’acheter des quotas. Une clause relative aux patrons pêcheurs spécifierait seuls ces derniers peuvent déternir un quota de pêche commerciale, et qu’ils doivent l’exploiter eux-même. L’absence d’une telle clause conduit à la consolidation de la flotte, à la spéculation sur les quotas, et permet aux grandes organisations de contrôler à la fois les quotas et les marchés, avec à la clé le risque de monopolisation et la perte des marchés libres.

La consolidation nuit aux petites communautés de pêche et aux patrons-pêcheurs indépendants en rendant le coût des licences et des quotas trop onéreux pour eux. La spéculation sauvage sur les quotas a atteint aujourd’hui de telles proportions que jusqu’à 70 à 80 % de la valeur débarquée va désormais pour payer des droits de location de droits de pêche, dans certaines des pêcheries les plus recherchées.

La viabilité économique des petits pêcheurs et la redistribution équitable des richesses au sein de la communauté de pêche, autrefois des objectifs importants pour le gouvernement canadien, ont été abandonnés à la fin des années 70 avec l’avènement de la déréglementation et la montée en puissance des théories du néolibéralisme.

Les valeurs d’intendance et de gestion liées à la propriété sont perdues lorsque le propriétaire ne participe pas à l’activité de pêche, une réalité rarement prise en compte par les partisans de la privatisation.

Pendant les années 90, j’ai été le co-fondateur et le directeur exécutif d’une organisation mêlant population indigène et de non-indigène, créée afin de promouvoir le développement durable des pêcheries et des communautés de pêcheurs. Nous étions souvent en désaccord avec les politiques gouvernementales existantes, qui allaient et vont toujours vers le contrôle centralisé à travers le partenariat état-multinationales. Notre premier projet, la construction de cette commission, a été accompli et est en place depuis quatorze ans mais nous continuons de lutter contre l’agenda politique dominant.

D’autres régions de la Colombie Britannique sont maintenant organisées afin d’utiliser le planning maritime pour développer un espace de stabilisation de leurs communautés et leur accès aux ressources des pêcheries proches.

En dépit de problèmes globaux, les pêcheurs actifs encore en Colombie Britannique continuent à essayer de développer une pêcherie durable pour ceux qui restent. L’intégration des poissons de haut-fond a pris six ans à se mettre en place et a conduit à une complète responsabilité et transparence des pêcheries de haut-fond. La capture de chaque poisson de haut-fond est maintenant filmée et validée sur la côte. Bien que ce soit un programme extrêmement onéreux, cela permet au public de vérifier que la prise des poissons s’inscrit dans un développement durable. Les pêcheurs ont été actifs dans leur soutien des programmes de traçabilité, comme le programme canadien Ecotrust « Thisfish ». Cela permet au consommateur de relier par l’intermédiaire d’internet le poisson et le pêcheur qui l’a capturé.

Je suis actuellement le Directeur exécutif de la Zone A des pêcheries Dungeness Crab. Cette pêcherie a été la première à utiliser la technologie vidéo pour contrôler sa flotte et bien avant que je commence à travailler pour elles, elles ont créé et utilisé une enquête sur les carapaces molles afin de ne commencer la saison de pêche qu’à un moment optimal pour la mise sur le marché des crabes avec un minimum de mortalité.

J’ai aussi travaillé à soutenir le Marine Spatial Planning ( MSP) en Colombie Britannique afin d’inclure l’industrie de la pêche dans une planification plus complète des ressources océanographiques. La situation devient critique pour l’industrie de la pêche car d’autres industries, des énergies alternatives aux couloirs de transport de l’exploration gazière ou pétrolière continuent à s’étendre dans l’espace océanique traditionnellement attribué à l’industrie de la pêche.

Les incertitudes continuelles causées par le changement climatique et l’acidification sur la santé de l’océan font aussi partie de ce processus dans lequel l’industrie de la pêche peut jouer un rôle unique dans la collecte de données et l’observation de changements en court.

Je continue de travailler en tant que pêcheur actif afin de promouvoir la co-gestion pour donner aux petits pêcheurs indépendants et aux communautés de pêcheurs une voix dans la politique de pêche de la Colombie Britannique.

Nous avons encore beaucoup de travail mais si nous pouvons maintenir des stocks de poissons en bonne santé nous pouvons espérer créer une industrie durable de la pêche dans nos communautés côtières pour les générations à venir. »

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