Comme un poisson dans l’eau

France | Paris


Chef du restaurant étoilé Auguste, plongeur invétéré et farouche défenseur des milieux sous-marins, Gaël Orieux est l’un des parrains du projet européen Mr Goodfish et sera l’hôte d’un Théâtre du Goût à Slow Fish 2011. Judicieuse association du Centre Nausicaä avec l’Acquario di Genova en Italie et l’Aquarium Finisterrae en Espagne (et sous la coupe du Réseau Océan mondial), Mr Goodfish a pour but de sensibiliser et d’informer le public sur la question des ressources halieutiques.

Parlez-nous de votre parcours… Comment et pourquoi êtes-vous devenu chef?

J’ai un parcours atypique. Ma famille n’était pas tellement tournée vers la gastronomie. Mes parents sont bretons, mais j’ai grandi dans le Maine-et-Loire. Nous avions toute la famille en Bretagne, une maison là-bas sur la côte, et la mer a toujours été une passion pour moi.
C’est ce qui m’a amené à Paris un beau jour, je voulais suivre un cursus de moniteur de plongée. En passant dans une rue, j’ai vu qu’il y a avait une journée portes ouvertes dans une école de cuisine : ça m’a tenté, je suis rentré. Je n’y connaissais absolument rien, je ne faisais pas la différence entre un concombre et une courgette !
Mais ça m’a plu tout de suite, alors je me suis lancé. J’ai étudié, fait mon stage à Paris, puis j’ai démarré chez Bocuse. Je n’ai fait presque que des trois étoiles. Après Bocuse, Senderens au Lucas Carton, puis Taillevent, Roellinger, puis le George V, le Meurice. J’ai bien choisi mes chefs, mais j’ai eu de la chance aussi, le hasard a bien fait les choses.

Que faites-vous de votre temps libre, quand vous en avez ? Avez-vous d’autres passions?

Je suis un fan de plongée, et de tout ce qui touche à la mer. J’ai une résidence secondaire en Bretagne, j’y vais aussi souvent que possible. J’ai deux vies si on peut dire, l’une à la ville, l’autre au bord de la mer. J’ai passé tant de temps en Bretagne, beaucoup de mes amis et de ma famille sont là-bas. Mon univers a toujours été plutôt celui de la mer que celui de la restauration finalement.

Vous êtes établi depuis 2005 chez Auguste : où, quoi, qui, combien?

Auguste est situé dans le quartier des ministères, dans un arrondissement assez huppé de Paris. La clientèle est donc une clientèle d’ambassades et de ministères, d’hommes politiques et d’hommes d’affaires. Parmi eux nous avons beaucoup d’habitués. Nous avons aussi des étrangers, dans le quartier pour affaires ou bien pour le tourisme.
Ce que nos clients recherchent, c’est un repas de qualité, dans des prix raisonnables. Ils veulent également une cuisine assez légère et servie rapidement à l’heure du déjeuner.
Nous avons un restaurant haut de gamme, mais l’atmosphère est décontractée, et je crois que c’est cela aussi que notre clientèle recherche et apprécie.
Le restaurant peut accueillir 30 personnes au maximum, mais en général on affiche complet à 26 ou 28 couverts.

Quand et comment avez-vous commencé à travailler le poisson, particulièrement de façon responsable?

Cela peut vous paraître ironique, mais j’ai plus de viandes que de poissons à la carte ! En général je n’ai pas plus de 3 poissons.
Mon histoire avec le poisson a réellement débuté quand je me suis installé en 2005 et que j’ai commencé à créer mes propres cartes. Je voulais savoir : si on regarde les côtes, nord, ouest, sud, qu’est-ce qui est le plus abondant ? Et ces poissons-là me semblaient ceux qu’il fallait cuisiner. Mais l’information était introuvable, et puis à cela s’ajoutent d’autres critères.
J’ai essayé divers guides, mais les recommandations par listes, c’est figé et trop vaste. Je ne voulais pas les informations au niveau mondial mais national ou régional. Et je voulais également quelque chose d’évolutif, de mis à jour très régulièrement, parce que l’océan c’est tout sauf statique.
Alors j’y suis allé au culot : j’ai frappé à la porte du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, puisque nous sommes voisins ! J’ai été très bien accueilli. Je leur ai expliqué mon embarras, et on m’a répondu qu’il n’existait pas de fichier synthétisant toutes les données. J’ai bataillé pour qu’il en soit créé un, et on m’a donné l’occasion de continuer à batailler puisque dès ce jour on m’a convié aux réunions. On a été mis en relation avec Philippe Vallette, du Centre National de la Mer (Nausicaä), et Mr Goodfish a été peu a peu mis en place, avec temps et efforts.

Que propose Mr Goodfish exactement?

Mr Goodfish est un outil très complet: c’est une base de données mise à jour constamment, derrière laquelle se trouvent des comités d’experts, des informations nationales et régionales, des professionnels du secteur… Le site fournit un certain nombre d’informations qui aident à faire les choix les plus proches de la nature et les plus raisonnés possibles. Mr Goodfish établit une cartographie de l’abondance des poissons par zone sur les côtes italiennes, françaises et espagnoles, ce qui permet aux professionnels de se fournir sur tel ou tel littoral et aux particuliers de privilégier telle ou telle provenance. Mr Goodfish donne également la saisonnalité ou les tailles minimales et met en avant les bons élevages (parce que, de même qu’on trouve de bons élevages de volaille, il existe de bons élevages de poissons). Le site propose aussi des recettes de saison, un calendrier des événements autour de la mer et plein d’autres informations utiles.

Et à partir de là, comment vous fournissez-vous?

Mr Goodfish me permet d’essayer de donner une traçabilité aux produits que je travaille, et de faires des choix plus intelligents dans mes achats. Je regarde où tel poisson est en abondance, et je trouve un pêcheur. Au début ça m’a pris du temps, trouver des fournisseurs comme ça, mais maintenant je traite tout en direct. Je ne passe presque plus par Rungis, je me fournis directement sur les côtes. Le transport a tellement progressé, tout m’est livré très rapidement au restaurant, souvent par colis, avec un système de réfrigération qui préserve toute la qualité du produit.
Comme je travaille en direct, avec des pêcheurs de ligne ou de petits producteurs de coquillages, je connais tous les détails, il n’y a pas de perte d’informations comme sur une chaîne plus longue.

Ressentez-vous un besoin d’informer vos clients, de les éduquer aux goûts et aux valeurs que vous défendez?

Je ressens un fort besoin d’informer les clients, et je dirais même que je mets en faute les restaurateurs: on s’est rendu compte que les gens achètent chez le poissonnier ce qu’ils ont mangé au restaurant. Nous avons donc la possibilité d’éduquer les clients, et par là d’influencer leurs choix vers des espèces plus durables. C’est donc à nous de leur montrer que tel ou tel poisson, qu’ils ne connaissent pas encore, est aussi bon qu’un autre, qui est si connu qu’il est à présent en danger.
Cela implique de faire de bons choix de produits, de créer des plats appétissants et aussi de former son personnel. Les membres de mon équipe de salle sont là depuis l’ouverture d’Auguste, ils ont donc suivi toute l’histoire et sont sensibles aux questions écologiques. Ils connaissent également les produits, leur provenance, leur saveur: pour des clients qui ne connaissent pas tel poisson, on le leur explique par des comparaisons simples avec d’autres poissons qu’ils connaissent déjà. En général, la provenance est indiquée sur la carte, mais si ce n’est pas le cas, le maître d’hôtel peut fournir l’information instantanément.

Quels sont les inconvénients de travailler le poisson comme vous le faites?

Aucun inconvénient! Le poisson de saison et en vente directe est moins cher, plus frais, et meilleur. C’est plus de travail, c’est vrai, surtout au début: il faut trouver des fournisseurs, rechercher l’information. Mais avec Mr Goodfish c’est facile, il n’y a plus qu’à trouver des pêcheurs dans la zone indiquée pour tel produit, et de nos jours on trouve tout sur Internet! Au début je me souviens même avoir négocié des envois plus importants que mes besoins pour pouvoir obtenir un bon produit, je disais aux pêcheur: «bon, tu me fais tel prix pour telle quantité, c’est trop pour moi seul mais je peux trouver d’autres restaurateurs qui seraient intéressés».
C’est une mise en place qui prend plus de temps, mais au moins on sait tout du produit.

Pensez-vous avoir un rôle à jouer au sein de votre communauté (clients, fournisseurs, restaurateurs, etc.)? Comment voyez-vous l’avenir de la pêche?

La restauration, c’est la base de la chaîne : son rôle est donc d’influencer le client dans ses achats et consommations futures. Faire découvrir des espèces, informer les gens, c’est un moyen comme un autre de faire bouger les choses, peut-être même un moyen plus efficace qu’un autre.
Moi j’ai voulu donner l’exemple, c’est tout. Montrer qu’il est possible de faire de meilleurs choix. Je veux faire de mon mieux dans le rôle que j’occupe, expliquer au client, montrer au personnel, et peut-être même inciter les restaurateurs à se lancer, à prendre leurs responsabilités.
Cela requiert bien sûr un peu de patience et d’efforts au démarrage, mais de plus en plus de professionnels du secteur prennent conscience des problèmes et s’informent sur des façons d’y remédier, alors je pense que nous sommes sur la bonne voie.
Pour moi, l’avenir de la pêche est positif, les pêcheurs sont dans l’ensemble très responsables, très conscients de toutes les questions écologiques ; malgré ce qu’on lit et voit sur les voyous du secteur dans les médias, ils sont loin de représenter la majorité.
Je m’entends très bien avec les pêcheurs avec qui je travaille. Je mets en avant leurs produits et nous avons pas mal de discussions sur des tas de sujets. C’est le rêve pour un restaurateur d’avoir comme ça son réseau de petits pêcheurs, en tout cas pour moi c’est très appréciable.

Quelles sont vos plus grandes frustrations et vos plus belles récompenses?

Ma plus grande frustration c’est de me heurter aux idées fixes et aux préjugés qu’ont les gens. Comme «tel poisson n’est pas bon», «ce poisson-là est toujours trop sec », etc.
Alors forcément, ma plus grande satisfaction, c’est quand j’ai insisté pour que le client goûte le poisson en question et qu’il trouve ça délicieux… et que j’ai contribué à lever un préjugé.

 

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