Caroline Bennet
Moshi Moshi: entre léthique et le goût
United Kingdom | London
Caroline Bennet est chef et propriétaire du restaurant Moshi Moshi à Londres.
Comment as-tu commencé ton parcours en cuisine? Comment et où as-tu acquis tes compétences professionnelles ? Comment fais-tu pour concilier vie professionnelle et vie de famille ?
Mon parcours dans la restauration a commencé parce que la cuisine japonaise me passionnait. Après avoir abandonné l’école j’ai vécu un an au Japon et, à mon retour je ne voulais que manger du poisson cru et de la sauce de soja. J’avais eu quelques expériences dans la restauration et, je travaillais dans un restaurant qui s’appelait Kenward lorsque j’étais étudiante et qui était à l’époque l’un des dix meilleurs restaurants de la Grande Bretagne. Ma passion pour ce milieu vient de là. J’ai aussi eu une courte expérience de travail durant mon séjour au Japon. Dans les années ’80 en Angleterre il n’y avait pratiquement pas de restaurant à prix abordable où je pouvais satisfaire mon appétit pour la cuisine japonaise.
Avoir un restaurant dans la zone commerçante d’une ville comme Londres est une aubaine, surtout si l’on considère que le travail est concentré sur les déjeuners, du lundi au vendredi. Nous sommes fermés le samedi et le dimanche. Certains chefs de mon équipe travaillent avec moi depuis 1994-95 car ce travail leur permet d’avoir du temps pour leur famille. Il n’y a rien de mieux que de pouvoir avoir son week-end libre.Après mes obligations au restaurant…et bien la nourriture est à la première place sur la liste de mes intérêts. J’aime aussi faire de longues promenades et je vais souvent marcher sur les collines écossaises. Je fais également du yoga.
Quel type de clientèle fréquente ton restaurant ? Combien de clients avez-vous chaque jour, quel type de cuisine offrez-vous et quels sont les produits que vous servez?
Notre clientèle est surtout faite de personnes cosmopolites vivant à Londres. Nos clients sont généralement des gens qui ont beaucoup voyagé et qui ont connu de nombreux types de cuisines, ce sont des personnes bien informées et qui ont la chance de disposer de tickets-repas qu’ils peuvent utiliser ici. Nous avons d’habitude entre 150 et 250 personnes par jour. Nous avons commencé par servir exclusivement des sushis mais aujourd’hui nous cuisinons aussi d’autres recettes de cuisine japonaise. Le plat qui se vend le plus en ce moment est le saumon rigiri, qui n’est plus beaucoup consommé par les japonais car c’est un poisson d’eau douce.
Quand, comment et qu’est-ce qui t’a poussé à cuisiner le poisson, en particulier le poisson durable ?
Entre 1994 et 1997 nous utilisions le thon rouge. J’aimais son abdomen que j’utilisais pour faire de la soupe de miso avec la sauce de soja…ces poissons étaient décidemment trop bons pour qu’on pense en priorité à ce qui était le mieux pour eux !
Puis, tout a changé lorsque nos fournisseurs ont commencé à avoir des difficultés à trouver le thon rouge. Nous pouvions faire des commandes mais nous ne recevions plus nos provisions régulièrement. J’ai donc décidé d’appeler le WWF et Greenpeace qui m’ont mise en contact avec Carl Safina, le fondateur de l’Institut Blue Ocean. A cette époque là, un chef ne parlait pas souvent avec un scientifique… J’informais Carl de mon problème de pénurie de thon rouge, bien décidée à trouver une solution, mais il m’a dit cette phrase qui a changé pour toujours mon point de vue: » le thon à nageoire bleue est un poisson en danger d’extinction et le manger revient à manger un rhinocéros ».
En devenant conscient de tes actions et de leurs conséquences tu deviens plus sage et tu fais de meilleurs choix. J’adorerais travailler d’avantage avec les légumes pour tenter de contribuer à un retour à un style de vie plus sain, en opposition à la confusion de nos temps modernes, en quelque sorte.
Plus tard, j’ai rencontré un pêcheur des Cornouailles, lors d’un voyage en bus en direction de Terra Madre à Turin. Nous sommes restés en contact après la manifestation et, peu après Terra Madre, il m’a envoyé un cageot de poissons fraichement pêchés par un bus de nuit local. J’étais abasourdie par la quantité de poissons dans le cageot. Nous avons envoyé un inspecteur pour s’assurer que les stocks de poissons, les outils et les méthodes de pêche étaient durables et répondaient à nos attentes, et depuis il ne nous a jamais déçus.
Quelles relations y a-t-il avec le pêcheur local et/ou les communautés de petite pêche locale ? Quel est l’aspect durable qui a la précédence ?Nous devons améliorer les relations avec nos pêcheurs. Je suis allée en mer avec l’un d’eux qui est aussi notre fournisseur et ce fut une expérience très intéressante, ce métier est primordial. Ce pêcheur achète le poisson à d’autres pêcheurs avec lesquels il travaille et c’est comme ça que la communauté toute entière en bénéficie. Par exemple, la plus grande partie des gains du livreur est représentée par le transport du poisson. C’est remarquable de voir de quelle façon une petite communauté peut être aussi vitale et aussi productive. Je pense qu’il est important de localiser ces communautés et de les rendre autosuffisantes : de déplacer les capitaux des réseaux globalisés pour les mettre dans des réseaux locaux.
Quelles sont les caractéristiques de tes plats de poissons? Quels goûts essaies-tu de proposer, quelles recettes ?
De nos jours les gens aiment manger des sashimi ou de poisson bleu et contribuent ainsi à une tendance, qui sert de moteur à la standardisation de la nourriture. Nous servons de nombreux sashimi de poissons blancs. C’est une variété très appréciée par les générations plus âgées de notre clientèle japonaise. Nous servons du poisson préparé en sashimi ou usu-suzukiri (en fines tranches) servi avec un ponzu (une sauce commune utilisée dans la cuisine japonaise) avec un léger goût d’agrume. Ces méthodes de préparation du poisson rendent sa consistance particulièrement savoureuse. Nous avons aussi du miso blanc et du poisson mariné avec du mirin, puis notre version plus saine du traditionnel fish and chips que nous préparons avec des goujons grillés servis dans un petit panier d’os de poissons que l’on peut aussi manger.
Penses-tu que tu dois éduquer/informer tes clients ?Notre programme de fidélisation du client prévoit que celui-ci remplisse un questionnaire. Selon les résultats, il y a dix ans 15% de nos consommateurs seulement étaient intéressés par les techniques de pêche utilisées par nos fournisseurs. Aujourd’hui, plus de 50% de nos clients souhaitent en savoir plus sur le poisson que nous proposons. De quelle façon les informes-tu? Nous envoyons un bulletin mensuel, avec une section thématique sur l’écologie. Sur les tables, notre pose-baguettes donne des informations sur les poissons qui sont au menu du jour. Nous donnons aussi des instructions à notre équipe avant chaque service et faisons en sorte que tous ceux qui travaillent avec nous passent une journée avec un des pêcheurs, afin de mieux comprendre le système de la pêche. Nous avons aussi des affiches sur la pêche saisonnière que nous changeons chaque mois.
Participes-tu à des campagnes ou à des évènements dédiés à la pêche durable ? Où récupères-tu les informations sur les aspects « durables » du poisson que vous servez au restaurant ?Je suis une fervente partisane de Terra Madre et de la campagne Slow Fish. Je suis aussi membre de la commission de consultation pour le Seafood Choises Alliance qui fait un très bon travail en réseau avec les différentes membres du Marine Stewardship Council, Friends of the Sea et autres associations.
C’est important de créer une synergie entre tous ceux qui travaillent dans ce domaine,et d’oeuvre ensemble pour la sauvegarde de la mer et de son habitat. J’ai aussi fait partie d’une commission sponsorisée par le gouvernement pour interagir avec les pêcheurs qui travaillent sur des chalutiers. Ce ne fut pas facile car parceque nous sentions bien, au fond de nous, que nos activités n’étaient pas réellement compatibles avec leur travail et à leurs styles de vie. Je fais également partie de l’association Sustainable Fish City.
Quelles sont les plus grandes difficultés que tu rencontres ?
Je n’ai pas encore réussi à résoudre le défi des crevettes. C’est une bataille entre la commodité et l’action éthique. L’Angleterre c’est le paradis pour les gens qui souhaitent faire les choses tel que ça les arrange, mais j’aimerais trouver une meilleure façon de travailler ces produits. Pour le moment je fais de mon mieux en essayant de m’assurer que les produits qui arrivent sont certifiés MSC (Marine Stewardship Council).
Comment vois-tu le futur de la pêche?
Il faut dire que les pêcheurs sont une catégorie à part. Aujourd’hui les gens sont sceptiques et méfiants vis vis des politiciens, et bien, c’est la même chose entre les consommateurs et les pêcheurs. Le consommateur devrait commencer par poser les bonnes questions et faire les bons choix. En ce qui concerne le secteur de la pêche, il faut des règlementations plus ciblées et un suivi plus précis concernant les espèces menacées et celles qui sont habituellement rejetées.
Enfin, je pense que le prix du poisson doit augmenter pour permettre au pêcheur de pêcher des quantités moindres sans compromettre pour autant ses bénéfices.
Quel est le rôle des restaurants dans ce cas-là? Penses-tu avoir une responsabilité particulière?
Notre rôle de restaurateur est de savoir d’où vient notre poisson ! Nous devons être courageux et faire un choix tourné vers la qualité, la fraîcheur et choisir les poisons suivant les saisons, plutôt que de préférer la quantité. Nous devons choisir l’optique que servir deux poissons différents à deux tables est juste, car notre but ne doit pas être d’y trouver notre compte mais de faire du bien à l’humanité.
Quelles sont tes plus grandes satisfactions et frustrations jusqu’à aujourd’hui ?Je suis satisfaite de servir ces plats mes clients et de faire en sorte qu’ils soient un évènement mémorable de leur journée.J’aime regarder les clients qui viennent en amoureux et me dire que j’ai contribué à célébrer un moment intense de leurs vies. La frustration réside dans le fait de devoir être chaque jour dans la performance. Mais il est vrai que le restaurant est une sorte de mise en scène théâtrale…En ce qui concerne le poisson, je veux résoudre la question des crevettes au plus tôt, sans aucun doute. Pour le reste je suis contente de voir que les chefs du restaurant, dont certains sont chinois et coréens, ont commencé à partager notre philosophie en essayant de faire passer le message auprès de leurs familles et de leurs amis.