Chefs A Bord
Dennis Johnston
Du poisson dénigré au menu
Canada | Nova Scotia | Halifax
La plupart des chefs s’appuient sur un propriétaire, une direction et un concept. Mais lorsque Dennis Johnston et sa femme Monica ont inauguré l’établissement Fid Resto à Halifax, en Nouvelle-Écosse, ils ne pouvaient compter sur rien de tout cela. « J’étais libre de faire ce que je désirais. C’est une situation effrayante », se rappelle Dennis. Effrayante, sans doute, à moins de l’envisager comme une condition poussant à la créativité et donnant l’opportunité de faire quelque chose de différent. C’est ainsi que Dennis a décidé de servir des produits locaux aux clients de son restaurant : étonnamment, sa démarche était totalement novatrice pour les restaurants d’Halifax dans les années 90.
Né en Nouvelle-Écosse, le jeune Dennis a fini par gagner Londres pour apprendre le métier. C’est là qu’il a saisi l’importance d’acheter directement ses produits au marché. À son retour au Canada, Dennis travaille à Montréal, au moment où Slow Food commence à faire ses premiers pas. « À mes yeux, le mouvement Slow Food avait du sens, c’est pourquoi j’ai commencé à acheter des produits aux producteurs locaux » nous explique Dennis. Fin 1990, Dennis rentre en Nouvelle-Écosse et inaugure en 2000 son Fid Resto aux côtés de Monica Bauché.
Forte du marché agricole le plus ancien d’Amérique du Nord, la Nouvelle-Écosse a toujours favorisé les productions locales et bio. En 2000, lorsque Dennis a dû rédiger le premier menu de son établissement, il s’est avant tout adressé au marché des producteurs locaux. Pendant 13 ans, le Fid Resto a servi des menus composés à 98% d’aliments locaux, jusqu’au sel. Les producteurs alentour étaient capables de fournir tout le nécessaire, même le beurre frais.
En Nouvelle-Écosse, acheter des produits locaux signifie aussi se tourner vers les pêcheurs. Dennis commence par acheter les poissons issus des prises accessoires : lotte, perche, merlan et d’autres espèces capturées durant la pêche des poissons plus « prisés ». Si le choix de servir du poisson arrivé accidentellement dans les filets peut être perçu comme une pratique controversée, Dennis y voit davantage une forme de respect de l’environnement, car la majeure partie de ces poissons est généralement rejetée, morte, en mer. Ce genre de poisson permet également de servir des plats économiques et délicieux.
Malgré l’abondance de poisson, les fruits de mer n’ont jamais tenu un rôle significatif dans la culture gastronomique de Nouvelle-Écosse. Historiquement, les avantages de l’exportation ayant toujours été plus prégnants, il était ainsi plus facile d’expédier la pêche locale à Boston et dans les provinces alentour. Cela signifie que Dennis a souvent des difficultés à acheter les produits locaux qu’il aimerait servir. « Nous nous limitons à charger le produit sur des camions, à l’envoyer à Boston et à attendre le paiement du client. »
Malheureusement, les marchés locaux de poisson ne peuvent pas prospérer si le prix est déterminé par des acheteurs et des transformateurs situés à des centaines de kilomètres. Par exemple, un jour Dennis a appelé différents pêcheurs locaux pour leur acheter des oursins. Mais comme le prix des oursins était très bas au Japon, les pêcheurs locaux n’avaient aucun intérêt à sortir les bateaux pour les pêcher.
En travaillant aux côtés de groupes comme Ecology Action Centre, Off the Hook Community Supported Fishery et Slow Food Nouvelle-Écosse, Dennis a contribué au développement des marchés halieutiques locaux. Slow Fish Nouvelle-Écosse a inauguré ses activités au printemps dernier par un dîner au Fid Resto. Comme le dit Dennis, « Nous cherchons à changer la manière dont les gens considèrent la pêche et les poissons. »
Après 13 ans d’activité, Dennis et Monica ont fermé le Fid Resto pour se lancer dans d’autres projets. Leur passion pour la cuisine et les produits locaux continue cependant d’influencer leur travail, qui comprend par exemple la préparation de repas et leur service directement chez les clients. « C’est assez amusant, en réalité. Les menus sont très variés et généralement les clients me donnent carte blanche. J’utilise beaucoup de poissons et de fruits de mer locaux. »
Dennis tient toujours un rôle important dans le mouvement pour la promotion d’une alimentation locale, en travaillant avec Slow Fish et en en défendant les valeurs au profit des établissements de pêche et des restaurants.