Accord commercial UE-Mercosur : Inquiétudes du réseau européen Slow Food

04 Déc 2024

Alors que l’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (regroupant Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie) se profile, de nombreuses voix du réseau Slow Food s’élèvent en Europe pour dénoncer les conséquences que cet accord pourrait avoir sur l’agriculture, l’environnement et la santé des consommateurs.

L’opposition au Mercosur s’intensifie. En France, Italie et Pologne, des gouvernements et de nombreux acteurs du monde agricole dénoncent un accord qu’ils jugent néfaste pour les agriculteurs locaux, la biodiversité et la santé des populations.

Ce traité, qui supprimerait la quasi-totalité des droits de douane entre les deux blocs, concernerait 780 millions de personnes et représenterait un volume d’échanges annuel estimé entre 40 et 45 milliards d’euros. Derrière ces chiffres prometteurs se cache une réalité préoccupante : l’arrivée massive de produits agricoles sud-américains, issus de systèmes moins réglementés sur les plans sanitaire, environnemental et animal, sur le marché européen.

Une concurrence jugée déloyale

En Europe, des normes pour la protection de l’environnement, qui cadrent l’utilisation des OGM, des pesticides, ou encore pour le bien-être animal, sont parmi les plus strictes au monde. À l’inverse, les pays du Mercosur adoptent des régulations souvent plus laxistes, mais qui se traduisent en couts environnementaux, sanitaires et sociaux-économiques.

En 2021, le Brésil a exporté 1,9 million de tonnes de viande bovine, dont une grande partie vers l’UE, à des prix inférieurs de 20 à 30 % par rapport à la production européenne. Cette disparité de prix pose un problème de concurrence déloyale.

Dans les Pyrénées-Orientales, où les vignobles s’épanouissent au milieu des oliveraies et des fermes bio, Jean Lhéritier, figure historique du mouvement Slow Food, s’inquiète. Organisateur de marchés pour petits producteurs, il redoute l’impact du traité sur l’agriculture locale « Les vins chiliens et argentins concurrencent déjà fortement nos producteurs. Avec le libre-échange, ce sera pire. Ils n’ont pas les mêmes interdictions sur les pesticides ni les mêmes normes sanitaires. Cela aggraverait la concurrence déloyale et les dommages environnementaux. »

Dans cette région où l’agriculture biologique est l’une des plus développées de France, cet accord menace les efforts réalisés pour combiner qualité et durabilité.

Ces défis se retrouvent également en Pologne, où les petites exploitations familiales jouent un rôle crucial dans l’identité agricole du pays. Szymon Gatlik, coordinateur du Marché de la Terre Slow Food de Targ Pietruszkowy à Cracovie, souligne : « Ici, en Pologne, les petites exploitations familiales font partie des traditions que nous voulons préserver, ce qui favorise l’image durable, écologique et diversifiée de l’agriculture polonaise. Une bonne partie de l’opinion publique voudrait qu’il en reste ainsi. »

Il met en garde contre l’impact de la mondialisation et des accords de libre-échange : « La mondialisation est un terrain très fertile pour l’importation d’aliments bon marché de mauvaise qualité. Un exemple frappant est celui du miel : les apiculteurs locaux polonais subissent une pression croissante de la part des grands importateurs de miel d’Asie et des pays non-membres de l’UE. Il est donc de plus en plus difficile pour eux de soutenir la bataille des prix et, à la fin, de garder les abeilles. »

Un problème systémique : impacts sur l’agriculture locale en Europe et dans le monde

En 2022, 20 % des exploitations agricoles européennes ont enregistré des pertes financières, et cette tendance pourrait s’accélérer avec l’afflux de produits sud-américains à bas prix. André Trives, lui aussi agriculteur Slow Food dans le sud de la France, incarne la résistance face à un système agricole dominé par la course au prix bas. Cultivant fruits, légumes, et céréales selon les principes de l’agroécologie, il défend une agriculture locale et durable. Face à l’accord du Mercosur, ses inquiétudes sont palpables : « L’intégration du Mercosur, ça va encore faire baisser les prix et inciter les consommateurs à consommer toujours moins cher. Nous, agriculteurs durables, devons travailler trois fois plus pour maintenir nos marges, en transformant et vendant localement. Les grandes filières ne s’intéressent pas à nos produits, elles préfèrent prendre la matière première qui vient de l’extérieur et qui n’est pas chère. »

Pour lui, les conséquences vont au-delà de l’économie : « Ces accords de libre-échange favorisent la standardisation des goûts. Des variétés locales, des traditions culinaires, risquent de disparaître. »

Certains ont déjà pleinement adopté l’option des circuits courts, comme Édouard Stalin, qui gère avec sa femme Louise la Ferme des Rufaux en Normandie. Sur leurs cinq hectares, ils pratiquent une agriculture biologique et agroforestière, cultivant des légumes anciens et des petits fruits dans leur verger. Leur modèle de vente directe au consommateur les protège, mais Édouard pense aux agriculteurs qui travaillent avec les supermarchés. « Pour des petites fermes comme la nôtre, le Mercosur aura peu d’impact. Mais ceux qui travaillent avec la grande distribution ? Eux, ils pleurent déjà. Les grandes fermes légumières ou d’élevage vont subir des conséquences lourdes. » En effet, les circuits courts sont d’ailleurs une façon de soutenir des économies locales durables et encouragent la souveraineté alimentaire.

Au-delà des frontières de l’Europe, les effets se font également sentir. Bastien Beaufort, gérant à Paris d’un commerce équitable, Guaiapy, et membre Slow Food, collabore avec les Sateré Mawé, un peuple indigène d’Amazonie, pour valoriser leur Waranà, une plante produite de manière durable dans le cadre des Produits de Jardins-Forêts (ou Forest Garden Products). « Leur modèle repose sur le respect de la biodiversité et des pratiques traditionnelles. Ces produits permettent aux Sateré Mawé de gagner en autonomie économique et politique, tout en proposant des aliments uniques et sains. Pourtant, des accords comme le Mercosur ignorent ce type d’initiatives. »

Des consommateurs pris au piège

« Cet accord ne va pas dans le bon sens, il défavorise la consommation locale. Dans un contexte de crise économique, où le pouvoir d’achat est au cœur des débats, il désoriente les consommateurs. », analyse André Trives.

La baisse des prix pourrait pourtant séduire certains consommateurs, mais Bastien Beaufort souligne un dilemme moral : « Les citoyens-consommateurs sont tiraillés entre deux injonctions contradictoires qu’ils peinent encore à résoudre : d’un côté, s’engager dans une consommation éthique et politique, et de l’autre, se soumettre à l’impératif du pouvoir d’achat qui oblige, trop souvent, à devoir faire le choix entre la « fin du mois » et « la fin du monde » ».

« L’accord UE-Mercosur accroît la marchandisation de l’alimentation, un bien commun, en favorisant des pratiques destructrices uniquement guidées par le profit économique. », renchérit-il.

Pour lui qui s’engage pour une juste rémunération des producteurs indigènes, des Sateré Mawé de l’Amazonie brésilienne aux Shipibos du Pérou, l’opposition à ces accords est trop souvent détournée par des discours protectionnistes et nationalistes, occultant les véritables priorités : garantir un revenu décent aux producteurs et régénérer la biodiversité.

Bastien considère que l’avenir repose sur deux leviers essentiels : éduquer les consommateurs pour valoriser des achats éthiques et restructurer l’économie afin de récompenser les pratiques vertueuses. En l’absence de ces transformations, les alternatives aux modèles promus par les traités de libre-échange resteront fragiles et insuffisantes.

Des répercussions environnementales majeures

L’impact environnemental du traité UE-Mercosur est tout aussi préoccupant dans les deux blocs. La ratification de cet accord pourrait :

Cette pression écologique va à l’encontre des engagements climatiques de l’UE, en particulier du Green Deal européen, qui vise à réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.

Sergio Capaldo est un vétérinaire impliqué dans la diffusion de l’agriculture symbiotique et dans la fertilisation organique des sols pour la production de fourrage, en Italie. Il est président de La Granda, un consortium d’éleveurs adhérant à la Sentinelle Slow Food de la race bovine piémontaise, qui suit des standards exigeants : absence d’OGM, recours limité aux antibiotiques, et fertilisation organique. Il alerte : « La chaîne d’approvisionnement de la viande est difficile à décrypter pour les consommateurs, qui ignorent de nombreux aspects de l’élevage, à commencer par la nutrition : ceux qui connaissent le rôle du microbiote intestinal pour la santé humaine devraient également savoir qu’un facteur très important de sa composition est joué par le sol où poussent les fourrages et les céréales qui serviront à nourrir le bétail, ce qui contribue à son tour à l’alimentation humaine. Sans sol sain, il n’y a pas de santé et de bien-être pour qui que ce soit. »

Et ajoute : « Nous devons nous pencher sur la fertilisation et le traitement des pâturages, sans parler d’antibiotiques et d’hormones de croissance administrés au bétail, qui, dans de nombreux pays du Mercosur, sont autorisés ou réglementés de manière beaucoup plus laxiste qu’en Europe. En Italie, où 60 % de la viande bovine est importée, ce libre-échange pourrait avoir des conséquences dévastatrices : des agriculteurs locaux poussés à la faillite, une perte de biodiversité et un recul de la qualité des produits. Si l’Europe veut un avenir durable, elle doit soutenir ceux qui pratiquent une agriculture respectueuse, et non ouvrir grand les portes à une production industrielle de masse. »

Besoin de solutions durables et cohérentes

Alors que la nouvelle Commission européenne prend ses fonctions, une question pressante se pose : comment l’Europe peut-elle protéger ses agriculteurs, encourager des pratiques durables à l’échelle globale (car rappelons-le, le dérèglement climatique n’a pas de frontières) et limiter l’impact écologique de sa demande sur le reste du monde ?

Pour adresser la problématique des standards de production différents, qui n’est qu’un aspect dans les débats autour des traités de libre-échange, Slow Food a collaboré avec neuf organisations de la société civile issues de six États membres Européens pour un nouveau rapport (en anglais) sur les « mesures miroirs ». Ces mesures, si utilisées pour aller vers une transition agroécologique, pourraient être une première étape pour protéger les agriculteurs des effets de la concurrence déloyale et instaurer des systèmes alimentaires plus durables.

Paola Nano
Sources:
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/11/20/accord-entre-l-ue-et-le-mercosur-les-reponses-a-vos-questions_6405371_4355770.html
https://www.agricolturasimbiotica.it/
https://www.guayapi.com/en/#undefined
https://www.fondazioneslowfood.com/en/slow-food-presidia/piedmontese-cattle/
https://www.money.pl/gospodarka/tusk-mowi-nie-kontrowersyjnej-umowie-rzad-przyjmie-uchwale-7096812532419168a.html

 

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