Pas de substituts pour le miel
24 Mai 2021
Comment le frelatage et la malnutrition des abeilles menacent l’avenir de cet aliment, les abeilles qui le produisent et toutes les autres plantes qu’elles pollinisent.
Si le panda et le tigre étaient les symboles de la protection de la faune sauvage et de l’écologie dans les années 90, alors leur représentante actuelle est de toute évidence l’abeille.
Le rôle majeur de cette pollinisatrice dans l’agriculture mondiale est d’une part largement reconnu, et elle produit d’autre part depuis des milliers d’années, peut-être même avant l’agriculture, la source principale de sucre pour de nombreuses cultures et communautés autour du monde : le miel.
Deux problèmes graves touchent pourtant la production de miel et constituent une menace majeure à la survie des abeilles mellifères, dont des dizaines d’espèces sont déjà en danger ou gravement menacées.[1]Nous sommes bien évidemment confrontés aux problèmes plus vastes de l’utilisation des pesticides[2] et la perte d’habitat due au changement climatique et aux activités humaines (et leur impact sur la biodiversité florale), mais nous nous intéressons aujourd’hui à deux interventions directes de l’industrie du miel, qui relèvent quasiment de l’escroquerie pour les consommateurs comme pour les abeilles.
Le premier problème est le frelatage du miel avec d’autres édulcorants.
Ce problème se rencontre dans le monde entier, particulièrement dans les pays producteurs de miel à l’échelle industrielle, comme la Chine. Cette pratique s’est facilement répandue, car la fraude est difficile à détecter. Les producteurs peuvent donc allègrement couper leur miel avec des substituts moins onéreux comme du sirop de maïs, de riz ou du sucre de palme, et ainsi accroître leurs bénéfices. En partant du principe que les composés chimiques de ces substituts sont très proches de ceux du miel, en quoi s’agit-il d’un problème et pourquoi investit-on dans des technologies de pointe comme la résonnance magnétique nucléaire (RMN)[3] capable de détecter ces impuretés ?
Premièrement, il y a là un problème de transparence : acheter du miel entraîne certaines attentes, et cet acte d’achat est une marque de confiance envers le producteur et ses déclarations. Le prix du miel est élevé comparé à celui des substituts, et à raison, alors il est tout à fait légitime de se sentir trahi lorsque l’on achète du miel plutôt qu’une bouteille de sirop de maïs à bas prix, pour au final consommer à son insu ce même sirop.
Deuxièmement, si les substituts ne peuvent pas se targuer des mêmes bénéfices santé que le vrai miel, certains sont carrément toxiques. Le sirop de riz contient par exemple des quantités d’arsenic plus élevées que la concentration acceptée dans l’eau potable[4], et notre corps ne peut pas générer d’énergie avec le fructose du sirop de maïs : il doit être stocké dans notre foie sous forme de graisse ou de glycogène.[5]
En plus de l’avidité éhontée de l’industrie du miel et du mépris des conséquences environnementales et sanitaires du frelatage, cette tendance nuit également à la biodiversité, car la beauté du miel réside en partie dans sa merveilleuse transformation et son interprétation des fleurs. Même le plus fin connaisseur en fromages aurait du mal à distinguer le régime alimentaire des animaux producteurs par le profil aromatique de leur lait, mais tout le monde peut voir, sentir et distinguer au goût les variations entre différents miels monofleurs. Le frelatage du miel par des substituts au rabais nous rapproche une fois de plus de la standardisation des goûts et de notre aliénation aux origines de nos aliments.
Le second problème est… le frelatage du miel avec d’autres édulcorants.
Attendez, ce n’était pas déjà le premier problème ? Absolument, mais cette fois il n’est pas question du miel que nous mangeons, mais de celui que les abeilles elles-mêmes consomment. Pour tirer un profit maximum de chaque abeille, certains apiculteurs un peu trop zélés extraient une quantité dangereuse de miel des ruches et leur donnent en contrepartie les substituts précités, comme le sirop de maïs, que des études ont lié au Syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles (ou CDD en anglais).[6]
Si les causes potentielles du CDD sont variées et que le phénomène est encore mal compris, la malnutrition chez les abeilles est l’un des principaux suspects, parallèlement aux pesticides et aux virus. Le miel étant l’aliment naturel des abeilles, il est tout à fait logique qu’un appauvrissement de leur alimentation dû à la substitution du miel par du sirop de maïs ou de riz impacte leur système immunitaire [7], tout comme une alimentation carencée en nutriments affaiblit le système immunitaire humain. Cette malnutrition entraîne des effets indirects, notamment une vulnérabilité accrue aux parasites comme Nosema ceranae, qui augmente la toxicité des pesticides comme les néonicotinoïdes pour les abeilles[8]. Quand on répand des pesticides dans les champs et que l’on empoisonne délibérément les abeilles, en affaiblissant leur système immunitaire, leur déclin drastique à l’échelle mondiale n’a rien de surprenant.
Il faut de toute évidence changer les choses, si l’on ne veut pas finir par parler avec nostalgie du miel aux futures générations. Alors que pouvons-nous faire ? Slow Food recommande trois grandes actions :
- N’achetez pas de miel de grands groupes contenant peu ou pas d’informations sur les abeilles et les fleurs qu’elles butinent. Il a dans ce cas plus de chances d’être frelaté et de venir de producteurs complices des pratiques nuisibles aux populations d’abeilles. Achetez du miel d’apiculteurs locaux, lorsque c’est possible, qui produisent de petites quantités et sont enclins à parler de leurs pratiques ! Demandez à vos commerçants s’ils ont des produits locaux et certifiés bio et si ce n’est pas le cas, recommandez-leur de le faire ! Si ce genre de miel n’est pas disponible près de chez vous… alors mieux vaut faire sans que de soutenir les industriels en achetant des produits nuisibles à notre santé, à notre planète et à notre avenir.
- Parlez de ces problèmes autour de vous et faites circuler l’info ! Arrêter d’acheter ce miel n’est pas suffisant, un mouvement de masse est nécessaire pour faire la différence. Même s’il n’est pas toujours évident de « prêcher » auprès de ses amis et de sa famille, il s’agit là d’un acte politique vital qui ne coûte rien. Ce sont des géants, mais nous sommes une multitude.
- Écrivez à vos représentants locaux : nous ne pouvons pas compter sur eux pour être informés de tout ce qui se passe dans le monde, nous n’avons aucune garantie qu’ils s’en soucient assez pour agir, mais encore une fois : lorsque l’on ne dit rien, on peut être sûr à 100 % que rien ne changera. La sensibilisation demande de gros efforts, mais le temps et les organisations comme Slow Food ont déjà prouvé que la société civile est capable d’imposer des changements durables à la société par des actions politiques collectives : le pouvoir est citoyen !
Slow Food soutient l’initiative citoyenne européenne « Sauvons les abeilles et les agriculteurs ». Si vous êtes citoyen·ne européen·ne et n’avez pas encore signé la pétition, il est encore temps !
Données et chiffres clés concernant les abeilles[9]
- À l’échelle mondiale, trois cultures sur quatre produisant des fruits ou des graines consommables par les humains dépendent, au moins en partie, des pollinisateurs.
- Améliorer la densité et la diversité des pollinisateurs augmente les rendements : les pollinisateurs affectent 35 % des terres agricoles mondiales et contribuent à la production de 87 des principales cultures alimentaires à l’échelle planétaire.
- Les pollinisateurs sont menacés : l’agriculture durable peut réduire les risques posés aux pollinisateurs en aidant à diversifier le paysage agricole et à recourir aux processus écologiques au sein de la production alimentaire.
- Sauvegarder les abeilles sauvegarde la biodiversité : la grande majorité des pollinisateurs sont sauvages, notamment plus de 20 000 espèces d’abeilles.
Références
[1] Voir par exemple la liste rouge européenne des abeilles produite par la Commission européenne. Les données sur les espèces apicoles en danger sont largement insuffisantes, mais un déclin mondial est enregistré dans de nombreuses études, y compris celle-ci, publiée dans Science, en février 2020.
[2] Une récente étude a conclu que l’impact des pesticides sur les abeilles avait doublé cette dernière décennie, comme l’indique le Guardian.
[3] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0260877414001228
[4] https://www.mdpi.com/2304-8158/9/11/1538/pdf – page 11.
[5] Ibid., page 10.
[6] https://cordis.europa.eu/article/id/89968-untangling-the-causes-of-colony-collapse-disorder
[7] Le lien entre malnutrition des abeilles et déficience du système immunitaire a été étudié par des chercheurs liés à l’Institut de recherches sur les abeilles de l’Université de l’Illinois, 2014.
[8] Comme le mentionne cette étude par des chercheurs de l’Université du Montana en 2010.
[9] Du livret de la FAO, “Why Bees Matter” (Pourquoi les abeilles sont importantes, en anglais uniquement)
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