Nouveaux OGM : mythes et réalité
14 Mar 2023
Alors que l’Union européenne s’apprête à se prononcer sur la dérèglementation des nouveaux OGM, nous avons décidé d’examiner en détails les affirmations les plus fréquentes faites par l’industrie biotechnologique et semencière pour promouvoir ces nouveaux OGM. Attention : ces affirmations sont trompeuses, voire mensongères.
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Mythe n° 1 : Les changements apportés par les nouvelles techniques de modification génétique (ou « édition du génome ») pour modifier les plantes sont les mêmes que ceux qui pourraient se produire dans la nature ou via des méthodes de sélection conventionnelle.
L’industrie biotechnologique et les lobbies affiliés qualifient souvent les nouvelles techniques de modification génétique (nouveaux GMOs), dont CRISPR/Cas, d' »innovation en matière de sélection », de « techniques de sélection de précision » et de « nouvelles techniques de sélection ». Ils évitent soigneusement d’utiliser des termes tels que « modification génétique » et « génie génétique », avec l’objectif clair de faire passer ces techniques pour naturelles et de persuader le public d’accepter des aliments contenant de nouveaux OGM.
Pourtant, la législation européenne définit un OGM[1] comme un organisme dont « le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Les nouvelles techniques d’OGM ne sont pas des techniques de sélection car elles utilisent des techniques artificielles qui nécessitent une intervention humaine directe sur le génome.
Elles sont techniquement et juridiquement des techniques d’OGM, produisent des organismes génétiquement modifiés (OGM) et entrent dans le champ d’application de la législation européenne sur les OGM, comme l’a confirmé l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de 2018[2].
Bien que les techniques d’OGM et la sélection conventionnelle permettent toutes deux de créer de nouvelles variétés de plantes, il s’agit de méthodes distinctes qui ne doivent pas être confondues.
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Mythe n° 2 : Les nouveaux OGM contribueront à réduire l’utilisation des pesticides, y compris des herbicides
Les défenseurs des nouveaux OGM prétendent que les nouvelles cultures génétiquement modifiées permettront de réduire l’utilisation des pesticides en rendant les plantes toxiques pour les insectes nuisibles. Cependant, au fil des décennies, les OGM de première génération ont plutôt entraîné une augmentation de l’utilisation des pesticides[3]. Aux États-Unis, par exemple, des variétés de soja, de maïs et de coton ont été modifiées pour devenir tolérantes aux herbicides (un type de pesticide qui cible spécifiquement les mauvaises herbes et autres plantes indésirables), ce qui a permis aux agriculteurs de pulvériser librement les cultures avec des désherbants, contribuant ainsi à multiplier par 30 l’utilisation du glyphosate (l’ingrédient actif du Roundup de Monsanto) entre 1990 et 2014[4]. La vente de semences OGM et de l’herbicide qui les accompagne est donc une activité très rentable pour les semenciers, qui devrait se poursuivre avec les nouveaux OGM.
De plus, les nouveaux OGM risquent de connaître le même sort que les cultures génétiquement modifiées plus anciennes : les parasites et les mauvaises herbes peuvent rapidement devenir résistants aux pesticides pulvérisés, aux pesticides intégrés tels que les toxines Bt, ou aux plantes génétiquement modifiées pour repousser les parasites, ce qui rend l’OGM inutile et nécessite une utilisation toujours plus importante de pesticides. Les « super mauvaises herbes » – les mauvaises herbes qui ont évolué pour devenir résistantes aux herbicides – deviennent de plus en plus difficiles à contrôler, ce qui nécessite constamment la mise au point de nouveaux herbicides. Un autre exemple est celui du blé « whiffy », qui a été génétiquement modifié pour libérer une substance chimique présente dans la menthe afin de repousser les pucerons (un type d’insecte qui attaque les plantes), ce qui s’est avéré être un échec, les pucerons s’étant rapidement habitués à l’odeur[5].
La Commission européenne a reconnu[6] que les nouveaux OGM tolérants aux herbicides ne seraient pas considérés comme contribuant à la durabilité agricole et iraient à l’encontre de l’objectif de l’Union Européenne de réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici à 2030. Il s’agit là d’une petite consolation alors que la Commission s’apprête à déréglementer les nouveaux OGM.
Les nouveaux OGM promus par les entreprises agrochimiques ne sont pas la solution pour lutter efficacement contre les ravageurs, mais les pratiques agroécologiques qui ont fait leurs preuves (telles que la rotation des cultures) le sont et devraient être mises à la disposition des agriculteurs[7][8][9].
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Mythe n° 3 : nous avons besoin de nouveaux OGM pour nourrir une population en constante augmentation
La faim est due à la pauvreté et aux inégalités, et non à la pénurie de nourriture. Au cours des deux dernières décennies, le taux de production alimentaire mondiale a augmenté plus rapidement que le taux de croissance de la population mondiale. Selon le président du Comité de la sécurité alimentaire des Nations unies[10], le monde produit plus d’une fois et demie la quantité de nourriture nécessaire pour nourrir tous les habitants de la planète. Cela suffit déjà à nourrir 10 milliards de personnes, soit le pic démographique prévu pour 2050. Mais les personnes qui gagnent moins de 2 dollars par jour – dont la plupart sont des agriculteurs pauvres en ressources qui cultivent des parcelles de terre trop petites – n’ont pas les moyens d’acheter cette nourriture
Le monde produit déjà suffisamment de nourriture pour nourrir chacun d’entre nous, Pourtant, entre 702 et 828 millions de personnes ont souffert de la faim en 2021, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture[11](FAO).
Les populations pauvres et défavorisées du monde entier ont de moins en moins les moyens d’acheter cette nourriture. « Près d’une personne sur trois dans le monde (2,37 milliards) n’avait pas accès à une alimentation adéquate en 2020, soit une augmentation de près de 320 millions de personnes en une seule année », indique la FAO[12].
En réalité, la majeure partie des cultures produites industriellement est utilisée pour les biocarburants et l’alimentation animale. L’appel à l’augmentation de la production agricole mondiale n’a de sens que si nous continuons à donner la priorité à la population croissante d’animaux d’élevage et de voitures plutôt qu’aux personnes souffrant de la faim.
Une autre raison qui explique notre incapacité à nourrir l’ensemble de la population mondiale est le gaspillage alimentaire. Aussi incroyable que cela puisse paraître, environ un tiers de toute la nourriture produite est gaspillée chaque année[13].
Comment les nouveaux OGM pourraient-ils contribuer à résoudre ces problèmes ? Spoiler : ils ne le peuvent pas, car le problème de la faim n’est pas lié à la production alimentaire. Les nouveaux OGM ne sont que des « techno-fixes » promus par l’industrie agroalimentaire pour assurer la rentabilité de ses activités et maintenir un système alimentaire industriel, polluant et injuste.
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Mythe n° 4 : les nouvelles techniques d’OGM apportent des modifications précises et contrôlées à l’ADN, avec des résultats prévisibles.
L’industrie des biotechnologies agricoles affirme que les nouveaux OGM, tels que CRISPR/Cas, modifient le génome de manière précise et contrôlée. Ils affirment que les nouveaux OGM devraient donc être réglementés différemment des anciens OGM où (dans la plupart des cas) l’ADN est introduit à partir d’une autre espèce dans une partie du génome.
Or, un nombre croissant d’études scientifiques[14][15] sur des cellules humaines, animales et végétales montrent que les nouveaux OGM sont beaucoup moins précis qu’on ne le prétend et donnent lieu à de nombreuses erreurs génétiques[16][17][18][19][20].
De nombreux chercheurs soulignent la nécessité de tester ces mutations involontaires[21] (dommages à l’ADN). De plus, une fois les nouveaux OGM disséminés dans les champs et donc dans la nature, il est impossible d’empêcher la contamination des cultures voisines et d’éviter leur dissémination.
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Mythe n° 5 : les nouveaux OGM sont indispensables pour adapter l’agriculture au changement climatique
Les lobbyistes industriels[22][23] affirment que l’utilisation de nouveaux OGM est cruciale pour faire face au changement climatique et à la raréfaction des ressources naturelles telles que les terres arables et l’eau. Ils affirment qu’il est nécessaire de développer des cultures résistantes aux parasites et aux maladies et capables de s’adapter à des conditions climatiques difficiles telles que la sécheresse, la chaleur et la salinité.
Mais la vérité est que les entreprises de biotechnologie agricole qui promeuvent les nouveaux OGM (par exemple, Corteva, Bayer, Syngenta et BASF) sont également des entreprises agrochimiques et que leur modèle d’entreprise repose sur la vente de semences accompagnées de pesticides et d’autres intrants chimiques.
L’intensification de l’agriculture chimique, avec l’utilisation accrue d’engrais et de pesticides, constitue une véritable menace pour la biodiversité, qu’il s’agisse d’agriculture génétiquement modifiée ou non. La sélection conventionnelle (sans OGM) a connu un succès spectaculaire dans la production de cultures présentant des caractéristiques souhaitables, par exemple des semences tolérantes à la sécheresse.
Nous n’avons pas besoin de nouvelles cultures génétiquement modifiées prétendument « prêtes pour le climat », mais plutôt de systèmes agroécologiques prêts pour le climat, fondés sur des méthodes éprouvées, qui garantissent également la souveraineté des agriculteurs, à l’abri des brevets. Pour cela, il faut choisir les bonnes cultures en fonction du lieu et des conditions, planter une diversité de variétés et construire des sols sains qui retiennent l’humidité en cas de sécheresse et empêchent les inondations en cas d’humidité.
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Sources
[1] Directive 2001/18/EC of the European Parliament and of the Council of 12 March 2001 on the deliberate release into the environment of genetically modified organisms and repealing Council Directive 90/220/EEC – Commission Declaration
[2] Court of Justice of the European Union PRESS RELEASE No 111/18 Luxembourg, 25 July 2018
[3] Russell K, Hakim D, Broken Promises of Genetically Modified Crops, The New York Times, October 29, 2016
[4] H. Claire Brown, How Superweeds like Palmer Amaranth are Changing Agriculture, The New York Times, August 18, 2021
[5] Cookson C., GM “whiffy wheat” fails to deter pests, £2.6m UK study finds, Financial Times, June 25, 2015.
[6] Online event “Gene-editing revamp: the solution to climate change and food security?”, presented by Bayer & organized by Politico, June 27, 2022
[7] Steven R. Belmain, Yolice Tembo, Angela G. Mkindi, Sarah E. J. Arnold, Philip C. Stevenson; Elements of agroecological pest and disease management. Elementa: Science of the Anthropocene 4 January 2022; 10 (1): 00099. doi: https://doi.org/10.1525/elementa.2021.00099
[8] Lechenet et al. (2017), Reducing pesticide use while preserving crop productivity and profitability on arable farms, Nature plants: https://www.inrae.fr/en/news/reducing-pesticide-use-agriculture-without-lowering-productivity
[9] van der Ploeg et al. (2019) The economic potential of agroecology: Empirical evidence from Europe. Journal of Rural Studies: https://hal.archivesouvertes.fr/hal-02625121/
[10] “We produce enough food to feed 1.5 (times) the global population”, Thin Ink, 9 October 2022: https://news.thin-ink.net/p/we-produce-enough-food-to-feed-15?utm_campaign=post&utm_medium=web
[11] FAO, IFAD, UNICEF, WFP and WHO. 2022. The State of Food Security and Nutrition in the World 2022.
Repurposing food and agricultural policies to make healthy diets more affordable. Rome, FAO.
https://doi.org/10.4060/cc0639en
[12] idem
[13] European Commission, Food Waste webpage
[14] Heidi Ledford, “CRISPR gene editing in human embryos wreaks chromosomal mayhem”, Nature 583, 17-18 (2020) doi: https://doi.org/10.1038/d41586-020-01906-4
[15] Jonathan Latham, PhD, “Gene-Editing Unintentionally Adds Bovine DNA, Goat DNA, and Bacterial DNA, Mouse Researchers Find”, Independent Science news for Food and Agriculture, September 23, 2019
[16] Tuladhar R, Yeu Y, Piazza JT, et al. CRISPR-Cas9-based mutagenesis frequently provokes on-target mRNA misregulation. Nat Commun. 2019;10(1):1-10. doi:10.1038/s41467-019-12028-5
[17] Mou H, Smith JL, Peng L, et al. CRISPR/Cas9-mediated genome editing induces exon skipping by alternative splicing or exon deletion. Genome Biology. 2017;18:108. doi:10.1186/ s13059-017-1237-8
[18] Smits AH, Ziebell F, Joberty G, et al. Biological plasticity rescues target activity in CRISPR knock outs. Nat Methods. 2019;16(11):1087-1093. doi:10.1038/s41592-019-0614-5
[19] Gene-Editing Unintentionally Adds Bovine DNA, Goat DNA, and Bacterial DNA, Mouse Researchers Find, Jonathan Latham, PhD; Independent Science News, September 23, 2019
[20] Heidi Ledford, CRISPR gene editing in human embryos wreaks chromosomal mayhem, Nature 583, 17-18 (2020) doi: https://www.nature.com/articles/d41586-020-01906-4
[21] “Researchers call for greater awareness of unintended consequences of CRISPR gene editing”, The Francis Crick Institute, April 9, 2021
[22] https://www.corteva.com/our-impact/innovation/crispr.html
[23] https://www.politico.eu/sponsored-content/smart-and-sustainable-food-systems/
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