Marées Rouges : comment la pollution marine menace l’air que nous respirons
21 Avr 2023
Les évènements sur terre ont une incidence en mer et l’état de la vie aquatique a un impact sur toute la planète… c’est l’un des principaux thèmes de Slow Fish. Nous explorons aujourd’hui avec Pierre Mollo, biologiste et expert en plancton, plusieurs exemples de ces interconnexions, des marées rouges au danger du phytoplancton bioluminescent.
Et les risques que nous courons à sous-estimer l’importance de ces interconnexions dépassent l’écosystème marin pour toucher jusqu’à l’air que nous respirons.
SLOW FOOD : L’ÉQUILIBRE DE L’ÉCOSYSTÈME MARIN EST MIS EN DANGER PAR DE NOMBREUX PROCESSUS SUR TERRE, ET C’EST À LA JONCTION DE CES DEUX MONDES, LE LONG DES CÔTES, QUE NOUS LE CONSTATONS. SOUS QUELLE FORME ?
Pierre Mollo : La terre nourrit la mer, notamment par le biais des rivières. Les créatures des océans ont besoin des nurseries des marais et estuaires côtiers pour se développer ; c’est là que les microorganismes du sol digèrent la matière végétale en décomposition. Ces microorganismes nourrissent des bactéries ensuite transformées en sels nutritifs essentiels au développement des plantes et des algues.
Cet énorme transfert de nutriments fait des zones humides littorales une interface privilégiée entre terre et mer. Le mélange d’eau douce et d’eau salée riche en minéraux entraîne une diversification du phytoplancton qui, à son tour, nourrit toute la chaine alimentaire planctonique. La brièveté de la vie planctonique en fait un excellent indicateur de la qualité des environnements aquatiques. Elle offre une synthèse des activités humaines en amont.
La biodiversité marine dépend de la préservation de ces équilibres naturels. Il est donc évident que si nous voulons vivre des trésors de la mer demain, nous devons protéger la vie sur terre aujourd’hui.
VOUS AVEZ ÉTÉ TÉMOIN DE CES CHANGEMENTS DE DYNAMIQUE SUR LE LITTORAL BRETON.
Jusque dans les années 60, la pêche artisanale du Morbihan dans la baie du Mor Braz, entre Le Croisic et Quiberon, sortait d’énormes quantités de sardines chaque année, au printemps et en été. Les sardines arrivaient avec le printemps, quand la mer se réchauffant entraînait une explosion du phytoplancton disponible, et par conséquent du zooplancton, comme les copépodes herbivores. Ces petits crustacés ne mesurent que quelques centaines de microns et se nourrissent de cette nourriture végétale microscopique. Les copépodes sont à leur tour très prisés des sardines. D’où leur arrivée en grand nombre !
Pierre Mollo. Photo fournie par l’interviewé.
Le phytoplancton s’épanouit en présence de sels minéraux. Ceux-ci existent à l’état naturel dans les roches et les plantes, ainsi l’érosion et la décomposition transportent ces sels minéraux dans le courant des rivières, jusqu’à la côte. Cet ajout de sels nutritif dans l’eau de mer permet la présence massive de phytoplancton à proximité des estuaires et des baies. Et voilà, la terre nourrit la mer, et parfois depuis des zones reculées. C’était le cas au Mor Braz, qui est alimenté par l’estuaire de la Vilaine. La source de la rivière se trouve à 200 km dans les terres et traverse la forêt de Redon, où abondent différents bois durs : châtaignier, hêtre, chêne… traçant un lien direct mais invisible entre châtaignes et sardines. La matière végétale en décomposition issue du bois apporte des minéraux essentiels au phytoplancton, qui nourrit par la suite les copépodes, qui à leur tour attirent les sardines vers le Mor Braz.
MAIS TOUT CECI SEULEMENT JUSQU’AU DÉBUT DES ANNÉES 60
Hélas, nous avons constaté la fragilité et la préciosité de cet écosystème lorsque la décision a été prise dans les années 60 de construire un barrage sur l’estuaire de la Vilaine : le barrage d’Arzal. Celui-ci a entraîné la formation d’un bouchon de sédiments de trois à quatre mètres d’épaisseur à l’embouchure de la rivière. La culture des moules de bouchot a rapidement disparu et les marées rouges ont pris le relais.
EXPLIQUEZ-NOUS CE QUE SONT LES MARÉES ROUGES ?
Les marées rouges sont des efflorescences de phytoplancton toxique, engendrées par l’ouverture des écluses à la fin du printemps. Cette manœuvre sert à expulser le surplus de sédiments accumulés par le barrage en amont. L’afflux soudain et volumineux de matière organique mène à une augmentation des bactéries qui, par leur décomposition, produisent des éléments minéraux en quantité excessive et agissent négativement sur le phytoplancton, avec réaction en chaine sur le zooplancton.
C’est pourquoi les sardines, ne trouvant plus de quoi se nourrir, ont quitté la baie. À la fin des années 60, la pêche à la sardine du Mor Braz s’est effondrée, provoquant une crise économique. C’est une preuve que les marées rouges, et la dégradation subséquente de la qualité de l’eau dans les rivières, endommagent les écosystèmes marins.
DANS QUEL ÉTAT SE TROUVE LA BIODIVERSITÉ PLANCTONIQUE DANS LES EAUX BRETONNES AUJOURD’HUI ?
Elle va mal. Les marées rouges ont plusieurs fois rendu la baignade interdite dans le sud du Finistère certains étés. Le principal coupable est le Noctiluca scintillans, un type d’organisme unicellulaire bioluminescent connu pour briller la nuit dans l’eau. Mais à la différence d’autres espèces, le Noctiluca scintillans ne photosynthèse pas, mais se nourrit d’autre phytoplancton. Il appartient à la classe des Dinoflagellés, qui signifie « flagelle tournoyante » : sa bioluminescence est un leurre, comme la pêche au lamparo. Il entre ainsi en compétition avec le zooplancton, réduit sa présence, et engendre un effet de domino remontant tout le long de la chaine alimentaire. Une mer luminescente est de ce fait mauvais signe pour les pêcheurs.
CE N’EST TOUTEFOIS PAS LE SEUL DANGER POSÉ PAR LES DINOFLAGELLÉS.
Bien que destructeur, Noctiluca scintillans n’est heureusement pas dangereux pour l’humain. Ce n’est toutefois pas le cas de tous les dinoflagellés. Dinophysis acuminata, consommé par les fruits de mer du littoral atlantique nord, est la principale cause d’intoxications diarrhéiques (DSP : Diarrheic Shellfish Poisoning) rendant les huîtres et autres fruits de mer impropres à la consommation.
Mais de plus graves dangers touchent aussi d’autres latitudes, notamment via Karenia brevis, qui répand des neurotoxines directement dans l’eau. On dit que cette algue serait à l’origine de la première plaie d’Égypte mentionnée dans la bible : les eaux du Nil se sont transformées en sang, tuant ainsi tous les poissons. L’été dernier, sur la côte ouest de la Floride, cent tonnes de poissons et mammifères marins morts tués par la Karenia ont échoué sur les plages suite à une marée rouge. Aux États-Unis, les pertes dues aux marées toxiques ou à des efflorescences d’algues nuisibles avoisinent désormais le milliard de dollars pour le seul secteur de la pêche, un chiffre en constante augmentation.
QUEL GENRE DE POLITIQUES VOUDRIEZ-VOUS VOIR ADOPTÉES POUR MIEUX PROTÉGER LE PLANCTON ?
Étudier le plancton par satellite est désormais à notre portée. Les images prises depuis l’espace permettent d’identifier les pigments de chlorophylle des efflorescences printanières. Les observations à la surface de l’eau ne peuvent toutefois pas remplacer les campagnes océanographiques de prise d’échantillons à plusieurs profondeurs. L’important, c’est que les résultats de nos observations soient accessibles à tous.
L’avenir de nos océans n’est pas gravé dans le marbre, mais il est une certitude que ceux-ci dépendent de la santé du plancton. Ils doivent être protégés à la mesure de leur importance pour tous les écosystèmes : souvenez-vous que 50 % de tout l’oxygène atmosphérique est fourni par le phytoplancton. Le plancton pourrait être déclaré patrimoine mondial de l’humanité, on pourrait imaginer un organe de gouvernance internationale chargé de maintenir une relation optimale entre la vie humaine et le reste de la nature.
Sensibiliser la population est essentiel pour atteindre cet objectif et toutes les initiatives faisant connaître l’importance du plancton au plus grand nombre, surtout au jeune public, sont les bienvenues. Préserver la diversité du plancton aujourd’hui, c’est s’assurer un air respirable demain.
SI VOUS POUVIEZ INTRODUIRE DEMAIN UNE NOUVELLE LOI MONDIALE EN FAVEUR DE LA MER, QUELLE SERAIT-ELLE ?
J’interdirais l’usage des pesticides, immédiatement, ce qui éliminerait leurs impacts nuisibles sur le phytoplancton.
QUELLES ESPÉRANCES AVEZ-VOUS POUR L’AVENIR ?
Je travaille actuellement avec des étudiants quimpérois sur un projet Erasmus avec les universités et lycées. Mes étudiants d’aujourd’hui auront 50 ans en 2050. J’étais à leur place il y a 50 ans, quand j’ai découvert l’aquaculture et que je me demandais comment le phytoplancton et le zooplancton continueraient à nous fournir des protéines au XXIe siècle. Pour des raisons d’espace, je doute que les ressources terrestres suffisent à nourrir une population de dix milliards d’êtres humains. Nous continuerons à nous appuyer sur les protéines de l’océan, mais cela ne sera possible que si l’on arrête de sacrifier 5 à 10 kilos de poissons sauvages transformés en farines pour produire un kilo de poisson d’élevage insipide. L’aquaculture peut, et doit, servir les écosystèmes marins sauvages, et non le contraire.
Pierre Mollo participera à la conférence « Where the Land Meets the Sea », à l’occasion de Slow Fish le 1er juin, dans la Slow Fish Arena.
Slow Fish 2023 est organisé par Slow Food et la Région Ligurie, avec le soutien de la Ville de Gênes. retrouvez-nous au Vieux Port de Gênes du 1er au 4 juin. Inscrivez-vous pour recevoir la newsletter de Slow Food et suivre nos actualités. #slowfish2023
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