L’huile d’argan alimentaire : délice méconnu, dans un écosystème en danger

07 Mai 2021

10 MAI : JOURNEE INTERNATIONALE DE L’ARAGANIER

« Pour moi, sentir l’odeur des amandes d’argan torréfiées c’est comme revenir à mon enfance, quand je m’asseyais à côté de ma grand-mère et qu’on préparait, à la fin de la semaine, l’huile pour toute la semaine à venir » nous raconte Hafida, vice-président de Ajddigue, coopérative de femmes productrices d’huile d’argan proche d’Essaouira. L’argan semble être un ami d’enfance qui suit et accompagne les gens tout au long de leur vie.

La zone de l’Argneraie s’étend entre Agadir et Essaouira. Il est parfois possible d’apercevoir l’Océan Atlantique même si le visiteur se trouve au milieu des montagnes. Sur la seule route sinueuse où peuvent circuler les voitures, on y rencontre souvent des hommes qui vendent les produits transformés de l’argan préparés avec soin par les femmes de la communauté.

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Une méthode ancestrale transmis de mère en fille

Dans la tradition locale, l’argan est femme. Ce sont les femmes qui ramassent l’Aafiush, l’argan frais, et le mettent à sécher sur les terrasses d’argile le transformant ainsi en Aqqain. Après cette étape, l’aînée de la famille enlèvera la première couche du fruit, une peau souple assez simple à enlever obtenant ainsi l’Irgan, une amande dure et lisse. La cadette, quant à elle, réalisera la partie la plus difficile du travail : ouvrir l’Irgan et en extraire le Tsein, la partie interne, blanche et molle, pour la passer sur le feu et obtenir l’huile alimentaire. La femme ‘au milieu’ de la famille, la plus forte, sera chargée de moudre le Tsein le transformant en une pâte dense et marron à la force du travail manuel et en utilisant de l’eau pour séparer l’huile. Il faut au total deux heures de mélange et 35 kg de Aafiush pour obtenir 1 litre d’huile. Dans ce processus rien n’est gaspillé : Les épluchures de l’argan deviennent aliments pour animaux et la pâte issue du broyage des amandes devient un excellent masque pour le visage et les cheveux.

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L’huile d’argan, un élixir de santé et de longévité

Issue de l’arganier, l’huile cosmétique est en réalité peu utilisée car, ici, l’argan est en fait considéré principalement comme un produit alimentaire. Si la première est produite à partir d’amandes non torréfiées, la deuxième, quant à elle alimentaire, passe par une étape de torréfaction des amandes lui donnant son goût si particulier de noisettes. Ici, les communautés affirment que si l’on consomme souvent l’huile d’argan, la vie sera saine et longue. En effet, l’huile d’argan n’a pas seulement des propriétés cosmétiques, mais elle a aussi des vertus anticancérigènes et drainantes.

Malgré cela, tout au long des années ’70 et ’80, l’utilisation de l’huile d’argan alimentaire a été peu à peu remplacée par d’autres huiles végétales meilleur marché mais pouvant causer des problèmes de santé humaine et des écosystèmes, telles que l’huile de soja, de maïs ou de palme. L’influence de ce changement de culture alimentaire se reflète dans les habitudes et usages de l’huile observés chez les personnes rencontrées pendant le voyage. En effet, même si l’huile d’argan maintient son rôle central dans la culture locale, elle est aujourd’hui réservée pour les occasions spéciales.

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La production industrielle de l’argan cosmétique : une menace pour les communautés et les forêts

C’est pourquoi l’argan a subi depuis ces dernières dix années un fort processus de développement de marques et de chaines de valeurs d’export, faisant exploser la demande d’amandes et d’huile (principalement cosmétique, pour l’exportation). Les principales conséquences de cette situation se sont répercutées directement sur la qualité de l’huile, la perte de contrôle sur la chaine de production et de commercialisation ainsi que sur la mise en concurrence des productrices qui ont vu baisser le prix de l’huile et de leurs salaires ainsi que sur la forêt de l’arganier. En effet, la surexploitation des arbres, qui a un rôle clé pour le pastoralisme local, ainsi que la sécheresse causée par le changement climatique, rendent les arbres de plus en plus fragiles et vulnérables. Cela fait courir un grand risque d’épuiser et de voir disparaitre cette forêt endémique, essentielle pour protéger toute la région de la désertification.

La Sentinelle Slow Food

La Sentinelle Slow Food a été créée en 2001 afin de soutenir le développement d’une huile d’argan alimentaire « bonne, propre et juste”. Née initialement pour appuyer la production d’huile obtenue par pression, la Sentinelle travaille aujourd’hui à la sauvegarde de l’huile produite de façon artisanale, qui a une saveur caractéristique de noisettes.

L’objectif est celui de valoriser un savoir-faire unique et les traditions qui l’animent ainsi que l’écosystème auquel il appartient, sans oublier le plaisir des papilles.

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« Les femmes se plaignent de la fatigue nécessaire pour produire l’huile artisanale mais pour moi cela est un sport qui fait du bien au corps et à l’âme ». Hafida, nom qui en arabe marocain signifie ‘celle qui garde’, a un profond respect et un fort amour pour l’argan. Sa grand-mère lui a enseigné l’importance sociale et environnementale de cet arbre, valeurs qu’elle cherche aujourd’hui à transmettre aux femmes de la coopérative. « Les gens ici doivent savoir que les personnes capables de travailler avec l’argan, qui le connaissent et savent comment le transformer en huile, sont rares et sont celles qui tiennent l’arganier vivant. Il est important qu’elles reconnaissent cette responsabilité et qu’elles protègent cette forêt merveilleuse ».

Par ailleurs, la FAO a reconnu le Système agro-sylvo-pastoral de l’arganier dans l’espace Ait Souab – Ait Mansour comme Système ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM) pour le rôle précieux que jouent les communautés d’agro-pasteurs dans le maintien des forêts, de la biodiversité locale ainsi que de tout l’agroécosystème et de ses paysages. Il est essentiel de mettre en lumière les savoir-faire et pratiques agricoles uniques qui rendent ce système source d’inspiration et d’innovation pour penser notre résilience face aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.

C’est via ces démarches ayant pour objectif commun de sauvegarder ce territoire agri-culturel et ses savoir-faire précieux pour toute l’humanité que Slow Food et la FAO se joignent à la célébration de la Journée Internationale de l’Arganier le 10 mai, proclamée cette année par l’Assemblée générale des Nations Unies.

Beatrice Ferlaino, Aurélie Fernandez, Nazarena Lanza

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