Lambarkien, douar sans terre… riche en jardins potagers
17 Août 2015
A El Brechoua, au milieu des collines dorées par le blé prêt pour la moisson, une petite révolution est en cours. Pourtant ces champs, qui s’étendent à perte de vue, ne sont pas ceux des habitants du douar, qui se contentent de prêter, parfois, leur main d’œuvre aux grands propriétaires terriens qui les mettent à profit.
Les habitants du douar n’ont pas de terre et ne sont pas agriculteurs. Certains étaient à l’origine des éleveurs, contraints à partir lors de la sécheresse des années 1980-90 qui avait décimé leurs troupeaux. Initialement installés dans un village à quelques kilomètres, une partie d’entre eux a décidé de squatter ces terres, autour d’une source d’eau. Ils forment aujourd’hui le douar de Lambarkien.
Difficile d’imaginer une issue heureuse pour cette population errante, installée illégalement dans cette région “grenier” non loin de Rabat (à environ 60 km). Les plus chanceux ont réussi à se convertir en ouvriers agricoles, dans le domaine de la culture intensive du blé. Ce même blé dont la monoculture, dépendante d’un usage massif d’engrais chimiques, pollue la nappe phréatique et la source autour de laquelle le douar est né. Dans le fond de la vallée, une petite rivière pleine d’algues informe d’une présence disproportionnée d’azote, utilisé sans mesure pour produire le maximum. Contrairement à une inversion générale de tendance dans l’agriculture, ici la rotation des cultures, avec un recours aux légumineuses qui enrichit naturellement le terrain ou une gestion de la fertilisation azoté qui prend en considération les asportations réelles du blé, ne semble pas être à l’ordre du jour.
En 2013 un virage se profile. Selon les récits, un parlementaire décide d’investir dans la production de blé et loue, à travers la SODEA (organisme de l’Etat qui gérait les propriétés domaniales dans le cadre du plan Maroc Vert), les terrains adjacents du douar. La période des travaux agricoles venue, le politicien emploie des hommes provenant d’autres douars, laissant Lambarkien sans perspectives de travail.
Après une première manifestation pour protester contre ce choix, le parlementaire décide d’évacuer le village, installé abusivement sur des terres de l’Etat. Cette adversité fait naître un esprit de solidarité dans la communauté, qui commence à structurer sa mobilisation. Une manifestation plus grande a lieu et le douar peut désormais compter sur un bon réseau national et international de soutien et une politique basée… sur la création de jardins potagers.
Chaque famille, sur chaque parcelle de terrain, crée son propre jardin, à partir de formations en agroécologie et permaculture, initialement offertes par Slow Food Maroc et le RIAM (réseau d’initiatives pour l’agroécologie au Maroc). D’autres associations suivent : la fondation Mohammed VI, l’association rabati d’écotourisme EDEN, qui propose à ses membres des journées d’excursion et un déjeuner à la campagne, et bien d’autres… En l’espace de quelques mois, la menace de démantèlement laisse place à une fontaine d’eau potable installée par la REDAL et à l’électrification du douar. Deux coopératives, l’Association des agriculteurs modernes et la Coopérative agricole de femmes de Brechoua, sont créées, ainsi qu’un convivium Slow Food, dans une forte et belle dynamique collective et territoriale.
Au douar les visites se multiplient, ainsi que les jardins potagers, qui fournissent aux familles les légumes frais auparavant achetés au marché. Les femmes du douar commencent à produire et à vendre, à travers la coopérative, poulets et œufs « beldi », pain et couscous de différentes qualités, dont l’une, délicieuse, à base des lentilles de Brechoua. Elles cuisinent et vendent les produits du douar aux habitants de Rabat, de plus en plus nombreux à participer à ces circuits organisés qui leurs proposent une journée à la campagne et une activité solidaire. De l’autre côté, hommes et femmes travaillent dans un élan d’appropriation et de fructification de la terre sur laquelle, depuis vingt ans, ils sont installés de manière précaire. Monde rural et monde urbain semblent avoir signé dans ces contrées un accord de collaboration mutuelle qui a le mérite de les amener, par des voies différentes mais complémentaires, à une réflexion sur l’importance de la terre et de… ses fruits.
Les 20 jardins potagers du douar font désormais partie du réseau des « 10000 jardins en Afrique » et leurs produits sont utilisés pour la vente et la consommation familiale. Les différents coucous de la coopérative des femmes, par contre, peuvent être dégustés à Rabat dans le premier restaurant de l’Alliance de la ville, Ch’hiwates du Terroir.
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