En France, Etats Généraux
03 Août 2017

Par Gilles Luneau, journaliste
En France, le gouvernement a annoncé, le 20 juillet, la tenue d’Etats Généraux de l’Alimentation qui, de fin août à fin novembre 2017, vont réunir tous les acteurs de l’alimentation, du champ à l’assiette. L’enjeu est de résoudre la crise générale du modèle agricole européen, mais tous les acteurs ne l’analysent pas de la même manière.
Depuis une dizaine d’années, l’agriculture française et européenne vit des crises à répétition : crises sanitaires (grippes aviaires, fièvre catarrhale ovine, grippe porcine…) ; crises économiques dues au marché mondial ; crise sociale en France avec une baisse continue du nombre d’agriculteurs et ces dernières années environ 300 suicides de paysans par an. Parallèlement, depuis la crise de la vache folle (ESB) il y a trente ans, les consommateurs sont de plus en plus méfiants à l’égard des denrées alimentaires et sont nombreux à réclamer au niveau européen la fin de l’utilisation des néonicotinoïdes et des perturbateurs endocriniens dans les pesticides et l’utilisation des antibiotiques dans les élevages. Cancers, allergies, résistance aux antibiotiques mais aussi progression de l’obésité (17% de la population) inquiètent les autorités sanitaires. Enfin, l’impact de l’agriculture sur le climat met à l’ordre du jour la révision de ses pratiques à l’aune de ses émissions de gaz à effet de serre estimées à 21% du total des émissions. Toutes ces raisons ont fait dire, en février 2017, à Nicolas Hulot, ancien journaliste et animateur de télévision devenu militant écologiste, qu’il faudrait tenir des Etats généraux de l’alimentation pour remettre à plat le système alimentaire français. L’idée a été reprise par le nouveau président de la République, Emmanuel Macron, … qui a nommé Nicolas Hulot ministre de la Transition écologique et solidaire le 17 mai dernier.
Une bonne idée
Le principe des Etats généraux est de réunir tous les acteurs – agriculteurs, industriels de l’agroalimentaire, représentants de la grande distribution, associations de consommateurs, ONG de protection de l’environnement et du bien-être animal, d’abord pour échanger leurs points de vue, ensuite pour s’accorder sur des solutions à proposer au gouvernement. L’idée est bonne et nombre d’acteurs ont envie de se parler mais tous ne sont pas d’accord sur le menu des conversations.
Le syndicat agricole majoritaire (FNSEA) est motivé par l’urgence de la crise économique (la majorité des agriculteurs français a gagné autour de 350 euros par mois l’an dernier) et réclame un meilleur « partage de la valeur » de la part l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution. Ces trois secteurs ont fait du lobbying pour exclure de cette partie des négociations les organisations de la société civile. Ils ont réussi à imposer que la première séquence de ces Etats généraux consacre 7 ateliers à « la création et la répartition de la valeur » mais aucun sur la révision du modèle agricole. Ils vont se dérouler de fin août à fin septembre.
La deuxième séquence intitulée « une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous » comportera 6 ateliers qui se tiendront de début octobre à fin novembre.
Un atelier transversal « pour préparer l’avenir, quels investissements, quel accompagnement technique, quelle recherche pour une plus grande performance environnementale, sanitaire, sociale et économique ? » a pour objectif de recueillir des rapports sur les constats et les propositions d’actions.
Le tout est dynamisé par l’annonce d’un plan d’investissement dans l’agriculture de 5 milliards sur 5 ans et par une consultation publique via l’internet.
Le grand écart des positions exprimées
La division en deux chantiers l’un économique, l’autre « société civile », le choix des thèmes d’ateliers porte la marque des lobbies de la filière agro-industrielle et sa volonté d’encadrer les Etats généraux, voire de dicter sa feuille de route à la société civile (à elle et au gouvernement de se débrouiller avec ce que l’on produit et vend). Leur tactique, d’une part s’appuyer sur l’urgence de la crise pour aller vite en imposant leur ordre du jour à tout le monde. D’autre part, cantonner le débat au niveau national en évitant d’aborder ses dimensions territoriale et européenne. On fuit le débat direct paysans-citoyens et on ne veut pas l’articuler avec la Politique agricole commune.
De leur côté, les ONG de la société civile, la Confédération paysanne (syndicat des petits paysans), la Fédération nationale de l’agriculture biologique, réclamaient le temps nécessaire à une réflexion stratégique de cette ampleur. Avec le soutien de Nicolas Hulot, la consultation va s’étaler sur trois mois, ce qui va permettre une mobilisation de l’opinion publique. Dans ce camp, on réclame de pouvoir produire en fonction de la demande des consommateurs, de soutenir la conversion à l’agriculture biologique, de rétribuer les services environnementaux de l’agriculture, de faire la lumière sur les marges bénéficiaires de l’industrie et de la grande distribution, un étiquetage nutritionnel, l’interdiction des perturbateurs endocriniens, l’éducation à l’alimentation pour lutter contre l’obésité, le gaspillage et développer une culture du goût.
Au pays de l’Accord de Paris sur le climat, l’absence remarquée d’un atelier agriculture et climat, fait craindre que l’on évite la remise en cause de l’agriculture industrielle. Cependant, rien n’est écrit et, forte de ses initiatives territoriales (circuits courts, restauration collective bio…) et de sa capacité de mobilisation, la société civile réussira peut-être à faire entendre la voix de la raison et peut devenir le moteur d’une indispensable transformation culturelle du système alimentaire.
Gilles Luneau: journaliste français, a été Grand Reporter pour Le Nouvel Observateur, il a fondé Global, un magazine en ligne indépendant qui publie des études et des approfondissements en collaboration avec des journalistes importants du panorama français, a écrit plusieurs livres à quatre mains avec José Bové; le premier a été publié en Italie par Feltrinelli sous le titre « Paysan du monde ». Le dernier est intitulé L’alimentation en ôtage et parle de lobbying menées par les multinationales à Bruxelles. La préface est de Carlo Petrini.
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