Du banc du marché au jardin potager
21 Mai 2015
Saint-Louis, Sénégal, février 2015. Un jour, après l’habituelle réunion de notre convivium « Jarinoo li niou moom », je discutais avec mon ami ingénieur agronome d’un rapport sur l’appauvrissement des sols en Afrique[1] dont j’avais lu sur un article de Slow Food (LINK). Selon l’auteur du texte, environ 65% de la terre cultivable africaine serait endommagée au point de ne plus pouvoir être productive. Les petits agriculteurs sont poussés à vendre leurs terres à des accapareurs plus grands, surtout européens, qui achètent ou louent des milliers d’hectares sur de longues périodes pour y développer des productions destinées à l’exportation, à grand renfort d’engrais chimiques. Dans la seule Afrique subsaharienne 180 millions de personnes sont frappées par l’erosion du sol, avec des pertes estimées de 68 milliards chaque deux ans.
Les paysans quittent ainsi les campagnes pour chômer en ville, où la préoccupation majeure est d’avoir un revenu journalier suffisant pour assurer des repas « convenables » à base de riz d’importation, d’oignons d’importation, de pommes de terre d’importation, de lait d’importation, de café d’importation, de fruits d’importation… La liste pourrait être encore très longue.
A ma réflexion sur la protection des sols et leur restructuration par fertilisation naturelle à base de fumier ou de compost, mon ami agronome me répond en opposant « les impératifs de la production ». Le Sénégal cherche l’indépendance alimentaire donc il doit produire plus, de manière extensive, intensive, « moderne ». Peu de variétés, toutes standardisées (provenant de graines hybrides vendues par des multinationales étrangères), cultivées avec des engrains chimiques et des pesticides. Je réplique qu’il n’y a pas que le changement climatique qui est en train de tuer les sols d’Afrique, mais aussi et surtout l’agriculture « moderne » ! Ainsi que l’ignorance des savoir traditionnels, perdus dans la course à la productivité : rotation des cultures, fertilisation avec fumier, culture de plantes sélectionnées localement donc plus résistantes aux parasites, produits naturels contre ces derniers, conservation et échange des semences…
Quelques jours plus tard, alors que je faisais mes achats, je demande à la femme qui me vend les légumes en ville « d’où proviennent-ils ? ». Elle répond « en grand partie de mon jardin ». Où ? En ville, à Diolofène, à 5 minutes de voiture de là où nous sommes. Je demande si elle utilise des engrains chimiques, elle répond que non, elle n’utilise que du fumier acheté par charrette. Je reçois ensuite l’invitation que j’espérais à visiter son jardin potager. J’en profite pour appeler mon ami agronome et on y va ensemble un dimanche matin.
Le jardin, entouré de maisons, est un petit paradis entre lesmurs de la ville. Des salades, des choux (fleurs, paumés, brocoli), de la menthe, des fleurs, des aubergines, des poivrons, du persil, du basilic, de la citronnelle, des piments et quelques arbres de papayes et de sapotés poussent paisiblement au milieu des parcelles de 10m2 qui se développent tout autour de la citerne de l’eau. Dans un coin, la compostière accueille les déchets organiques de la maison et du jardin.
Au départ, la jeune famille disposait de 500m2 de terrain. Madame et son mari ont décidé d’utiliser 150m2 pour la maison et ils ont consacré le reste à la culture de produits maraîchers. Avec les rendements de 350m2 de jardin potager ils ont pu construire leur maison, envoyer les deux enfants à l’école privée et vivre dignement, à quelques minutes du centre-ville.
Je demande à mon ami agronome si ce que nous voyons ne pourrait pas être un modèle à promouvoir et à soutenir pour s’acheminer vers l’autosuffisance alimentaire. Chaque jardin, en ville ou à la campagne, représente la possibilité d’une source de travail et de revenu digne, d’une alimentation saine et variée, de la protection des sols et des espaces non construits (contre l’avancée irrépressible des déchets en plastique…), d’éduquer les enfants à l’amour pour la terre et leur environnement…
On poursuit la réflexion.
Nazarena Lanza
Slow Food Internazional
Membre du convivium de Saint-Louis du Sénégal
Slow Food a acheminé en Afrique un réseau de jardins potagers, Marchés de la Terre, chefs cuisiniers, produits menacés de disparition à préserver. Viens la découvrir avec nous et aide-nous à la soutenir !
[1] Il s’agit de “No ordinary matter: conserving, restoring and enhancing Africa’s soils”, redigé par le Montpellier Panel, structure qui réunit des experts en agriculture et environnement européens et africains. Le rapport (en anglais) est disponible en ligne à l’adresse :
https://ag4impact.org/wp-content/uploads/2014/12/MP_0106_Soil_Report_LR.pdf
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